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Critique de Fisheye


Repartant d'une des intuitions phares de Foucault dans "Les mots et les choses", à savoir que la Culture, et partant l'Homme, était une invention récente du monde occidental, Philippe Descola, anthropologue de son état, se lance dans une folle aventure : démontrer que le dualisme entre Nature et Culture non seulement est une convention, un filtre pour comprendre les choses, mais surtout qu'il ne concerne pas beaucoup de collectifs à travers le globe.

Très longtemps l'ethnographie s'est construite autour de ce modèle pratique : la nature, sauvage, d'un coté, et l'homme de l'autre qui soit savait s'en accommoder, soit essayait de la dompter et d'y appliquer ses schèmes culturels. Matière vs Société. S'appuyant sur les trois années passées chez les Jivaros, puis étendant ses recherches à des dizaines de collectifs à travers le monde, Descola en est arrivé à une conclusion inverse : la plupart des hommes n'ont pas eu besoin du concept de Nature pour comprendre et maîtriser le monde qui les entoure.

Dès lors, le principe qui va guider Descola dans son enquête est à la fois simple et efficace : remarquant que deux catégories semblent être le fondement de tout sentiment d'identité (l'intériorité et la physicalité), il distribue autour de ces deux pôles les quatre façons de concevoir l'ordonnancement du monde, et la distribution en son sein entre humains et non-humains. Résumons : il y a ceux pour qui les intériorités sont identiques mais les corps différents (animisme), ceux pour qui les corps sont identiques mais les intériorités différentes (naturalisme, ou autrement dit nous-autres occidentaux modernes), ceux pour qui intériorité et physicalité sont identiques (totémisme) et enfin ceux pour qui intériorité et physicalité sont différentes (analogisme). de ces quatre façons de concevoir la réalité, Descola passe ensuite aux six façons d'établir des liens entre soi et les autres.

Le coup de force de Descola est de ne pas s'enferrer dans une démarche structuraliste, s'il classe ainsi les ontologies, c'est surtout pour faire saillir l'évidence : il n'y a pas de schème vainqueur, pas de réalité ultime, tout n'est que découpage subjectif et inconscient du Réel. Une vision "historiciste" des choses est pour lui une impasse : les sociétés "primitives" ne sont pas des collectifs en train d'évoluer vers plus de modernité, ce sont des sociétés qui ne structurent pas le monde de la même façon que nous.

"Par delà nature et culture" a beau être un pavé de 600 pages, il se lit avec un double plaisir : Descola est un pédagogue hors pair, et un conteur des plus agréable. Il allie merveilleusement bien l'analyse conceptuelle et les exemples ethnographiques variés, avec une facilité et un humour étonnants : son objet n'est pas d'empiler de froides théories abstraites mais de nous montrer le monde comme il le voit : un merveilleux tissu chatoyant et bariolé. On referme le livre plus intelligent, plus exigeant, plus respectueux, en un mot plus humain.
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