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EAN : 9782070772636
640 pages
Gallimard (15/09/2005)
4.09/5   69 notes
Résumé :
Seul l’Occident moderne s’est attaché à bâtir l’opposition, donc la discontinuité supposée, entre la nature et la culture. L’anthropologie perpétue dans la définition même de son objet - la diversité culturelle sur fond d’universalité naturelle - une opposition dont les peuples qu'elle étudie ont fait l’économie.

Philippe Descola, professeur au Collège de France, propose ici, à partir de traits communs qui se répondent d’un continent à l’autre, une a... >Voir plus
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J'avais déjà de gros doutes. Les paysages d'openfields à perte de vue, les publicités pour papier toilette, assurances habitation et saucisses qui vantent le « petit coin de nature », la jungle de Kipling, les Rêveries du promeneur solitaire et tant d'autres lectures m'avaient, par leur accumulation contradictoire et improbable décillée depuis longtemps : la Nature romantique, indomptable, hostile, nourricière, maternelle n'existe pas. Ça n'a pas empêché mes neurones de frétiller d'extase à la démonstration impeccable de son caractère contingent.

Aussi étrange que cela m'apparaisse maintenant, car c'est inextricablement lié, je n'avais en revanche pas réalisé que la Culture non plus n'existait pas. Enfin, c'est-à-dire que les cultures existent, évidemment, mais qu'à partir du moment où un des termes d'un dualisme s'effondre, l'autre a sérieusement du plomb dans l'aile. Et si la Nature est une construction, alors l'absolu de la Culture qui lui répond vacille également. Et boum badaboum fait le mur en carton-pâte qui s'effondre dans ma représentation du monde. Et spaaatchiiii fait le bouquet de lumière qui inonde mon cerveau d'un insigne contentement.
Foucault, que cite Descola pour rappeler qu'il a démontré l'historicité de la notion même d' « homme » et sa nouveauté éclatante puisqu'elle ne date que du 17e siècle – l'homme est une invention conceptuelle ! Oh oui ! Encore ! C'est bon ! – Foucault donc, Lahire dans un autre genre moins ambitieux mais convaincant aussi, sont des esprits capables de m'accoucher de ce genre de révélations fracassantes, de faire enfin la clarté sur une représentation qui m'avait toujours intuitivement paru bancale sans que je m'attache à démontrer pourquoi. Mais jusqu'à présent, ces estimables compagnons m'avaient laissée là, en carafe avec un monde heureusement déconstruit, fait seulement de social contingent, sans aucune structure pour suppléer à leur tabula rasa. Heureusement, il y a Descola.

Puisque le dualisme Nature / Culture a fait pchitt ou a tout du moins été réduit à un contexte historico-culturel d'émergence, il est loisible de faire un pas de côté et d'interroger d'autres ontologies, d'autres manières de concevoir le rapport au monde. C'est là que l'anthropologie entre en jeu.
De manière tout à fait didactique et ordonnée, Descola prend le temps de nous expliquer par le menu, nombreux exemples ethnologiques à l'appui, la manière dont peuvent s'organiser ce qu'il ramène à quatre ontologies. Pour structurer les points de variation à partir desquels ces conceptions se déclinent, il pose deux prémisses. D'une part l'existence universelle d'un « je » tant par sa capacité intrinsèque à se ressentir peu ou prou comme une instance délimitée et séparée d'un autre que par la posture énonciatrice qui veuille qu'on dise, dans n'importe quelle langue, « je » face à un « tu ». C'est ce qu'il appelle l'intériorité. D'autre part, les attributs physiques, corporels, sensoriels qui constituent l'existence de ce qui est au monde : humains, animaux, plantes ou montagne. C'est la physicalité.

A partir de ces deux dimensions des existants, intériorité et physicalité, se déclinent quatre variations combinatoires selon que l'une et ou l'autre soit conçue comme universelle ou spécifique à chaque existant.
L'animisme postule que toutes les intériorités sont celles d'humains, que l'on soit guépard, rocher ou acacia, on a tous en nous un esprit qui se pense humain, tandis que les physicalités divergent : plumes, fourrures, oeil de lynx ou sang de manioc, comme autant de manières d'être un corps dans le partage universel d'une intériorité commune.
Le naturalisme, en faveur dans notre monde occidental, suppose autant d'intériorités qu'il y a de cultures humaines, relègue le reste des existants à leur sort de « nature » sans réflexivité et partant sans statut de sujet. Les physicalités en revanche sont communes à tous, ce sont celles des molécules et des atomes, d'une même obéissance aux lois de la nature. Qu'on les classe ensuite en une taxinomie toujours recommencée ne fait que rendre hommage aux lois communes qui les régissent.
Le totémisme fait fluctuer physicalités et intériorités dans un mouvement qui brasse ces deux repères et les fait valser au rythme du Rêve.
L'analogisme enfin, c'est le monde des correspondances : chaque entité est différente de l'autre mais reliée de façon métonymique comme la partie signifiante d'un grand tout englobant l'intégralité du monde. C'est l'ontologie qui permet de lire votre avenir dans la course des étoiles ou les lignes d'une main, qui fait signe de tel augure, telle réminiscence. Rien n'est étranger à ce tout (ou alors on l'absorbe ou on le détruit) : physicalités éparses pour intériorités constituant un grand tout.
Ces quatre ontologies ne sont pas absolument hermétiques les unes aux autres et l'analogique a caractérisé nos temps antiques, médiévaux, cédant peu à peu le pas au naturalisme moderne. La question des glissements, de la nécessaire dimension diachronique d'une étude tant d'une ontologie à une autre qu'au sein d'un même système est d'ailleurs très succinctement posée dans Par-delà nature et culture mais peut-on vraiment le reprocher à un pavé qui fait déjà ses 700 pages bien comptées ?

Une fois cette première couche appliquée, le travail n'est pas terminé. Il faut encore supposer « des structures cognitives, émotionnelles et sensori-motrices qui canalisent la production d'inférences automatiques, orientent l'action pratique et organisent l'expression de la pensée et des affects selon des trames relativement stéréotypées ». Autrement dit, des schèmes. Ce que, pour simplifier, on pourrait, bien que cela dépasse l'application à de seules classes et innerve de manière bien plus profonde les manières d'être, appeler avec Bourdieu habitus. Descola a l'amabilité de les restreindre à six qu'il subdivise encore en deux. D'un côté ceux qui envisagent une relation d'égal entre ceux qu'ils relient (le don, l'échange et la prédation), de l'autre ceux qui obligent, soumettent l'une des parties à une forme de subordination (la production, la transmission et la protection).

Avec ces 24 fuseaux (quatre ontologies et six schèmes relationnels), vous pouvez restituer la dentelle de toutes les manières d'être au monde. Dans la pratique, vous n'épinglerez pas un spécimen par combinatoires car certaines relèvent, de l'aveu même de Descola, de la science-fiction. N'empêche, des réducteurs de tête jivaro, animistes prédateurs aux Rock cree, les modes d'appréhension du monde et de soi déclinent la partition conceptuelle que propose Descola. Et c'est confondant d'entrevoir ainsi la place prépondérante que prennent les schémas de pensée, la force de leur imposition sur la vision que tout existant qui dit je a du monde.

Malgré quelques descriptions ethnologiques qui me parlaient si peu et servaient un point si mineur de la démonstration que je les ai trouvées trop longues, malgré un vocabulaire à la précision redoutable, empruntant beaucoup à la philosophie de la logique, au droit parfois, malgré aussi l'envergure de ce gros bouquin, j'ai trouvé cette lecture passionnante. Tant parce qu'elle promet un désencombrement idéologique tout à fait salutaire que parce qu'elle tire toutes les conséquences de la méthode qu'elle se propose d'appliquer.

Dans la continuité de Lévi-Strauss, Descola ne nous laisse pas en rase campagne (si l'on peut dire…) et édifie les structures nécessaires à la mise en ordre d'une pensée sur le monde. Sa proposition reposant sur l'observation et la conceptualisation propres à l'anthropologie a essentiellement le mérite de désoccidentaliser la perspective et, par là-même, de désengluer nos chaînes prédictives. Puisque d'autres ontologies, d'autres schèmes de relation existent, nul n'est besoin de se fourvoyer plus avant dans une supposée inexorabilité de nos destins. Il ne s'agit pas de se rêver animistes, d'imaginer transformer l'idéologie capitaliste postmoderne en totémisme. Mais de considérer que si l'Europe a pu passer de l'analogisme au naturalisme en quelques siècles, si des collectifs ont pu migrer d'un schème majeur de don vers celui de l'échange, si d'autres ontologies président le rapport au monde à d'autres endroits du globe, alors l'espace pour une mutation de nos manières de pensée existe. La liberté de faire autrement.

Pour finir, en offrande sans contrepartie, pour les courageux amis qui m'auront suivi jusqu'ici et auront trouvé aride cette recension sans la moindre bestiole, en voici une charmante ribambelle tirée de ma lecture : paca, agouti, acouchi, cabiai, pécari, tapir, oiseau-trompette, caribou, chimpanzé, et last but not least, cochon d'inde.

Et pour ceux qui préfèrent songer plutôt qu'organiser, cette édifiante définition de la confiance : « Faire confiance à une personne, (…) c'est agir vis-à-vis d'elle dans l'anticipation qu'elle se comportera à mon égard dans la même disposition d'esprit favorable qui est la mienne, et cela aussi longtemps que je ne ferai rien pour brider son autonomie, c'est-à-dire sa capacité à agir autrement ; c'est donc une situation de dépendance librement consentie et qui donne tout son prix au choix d'autrui d'adopter à mon égard la même attitude que celle que j'adopte à son endroit. En somme, toute tentative d'imposer une réponse, d'énoncer les conditions ou les obligations que l'autre est tenu de suivre, représenterait une trahison de la confiance et une négation de la relation. » A l'endroit de son totem, de l'esprit maître du gibier ou d'un ami, quel magnifique fondement !
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Repartant d'une des intuitions phares de Foucault dans "Les mots et les choses", à savoir que la Culture, et partant l'Homme, était une invention récente du monde occidental, Philippe Descola, anthropologue de son état, se lance dans une folle aventure : démontrer que le dualisme entre Nature et Culture non seulement est une convention, un filtre pour comprendre les choses, mais surtout qu'il ne concerne pas beaucoup de collectifs à travers le globe.

Très longtemps l'ethnographie s'est construite autour de ce modèle pratique : la nature, sauvage, d'un coté, et l'homme de l'autre qui soit savait s'en accommoder, soit essayait de la dompter et d'y appliquer ses schèmes culturels. Matière vs Société. S'appuyant sur les trois années passées chez les Jivaros, puis étendant ses recherches à des dizaines de collectifs à travers le monde, Descola en est arrivé à une conclusion inverse : la plupart des hommes n'ont pas eu besoin du concept de Nature pour comprendre et maîtriser le monde qui les entoure.

Dès lors, le principe qui va guider Descola dans son enquête est à la fois simple et efficace : remarquant que deux catégories semblent être le fondement de tout sentiment d'identité (l'intériorité et la physicalité), il distribue autour de ces deux pôles les quatre façons de concevoir l'ordonnancement du monde, et la distribution en son sein entre humains et non-humains. Résumons : il y a ceux pour qui les intériorités sont identiques mais les corps différents (animisme), ceux pour qui les corps sont identiques mais les intériorités différentes (naturalisme, ou autrement dit nous-autres occidentaux modernes), ceux pour qui intériorité et physicalité sont identiques (totémisme) et enfin ceux pour qui intériorité et physicalité sont différentes (analogisme). de ces quatre façons de concevoir la réalité, Descola passe ensuite aux six façons d'établir des liens entre soi et les autres.

Le coup de force de Descola est de ne pas s'enferrer dans une démarche structuraliste, s'il classe ainsi les ontologies, c'est surtout pour faire saillir l'évidence : il n'y a pas de schème vainqueur, pas de réalité ultime, tout n'est que découpage subjectif et inconscient du Réel. Une vision "historiciste" des choses est pour lui une impasse : les sociétés "primitives" ne sont pas des collectifs en train d'évoluer vers plus de modernité, ce sont des sociétés qui ne structurent pas le monde de la même façon que nous.

"Par delà nature et culture" a beau être un pavé de 600 pages, il se lit avec un double plaisir : Descola est un pédagogue hors pair, et un conteur des plus agréable. Il allie merveilleusement bien l'analyse conceptuelle et les exemples ethnographiques variés, avec une facilité et un humour étonnants : son objet n'est pas d'empiler de froides théories abstraites mais de nous montrer le monde comme il le voit : un merveilleux tissu chatoyant et bariolé. On referme le livre plus intelligent, plus exigeant, plus respectueux, en un mot plus humain.
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Le problème est que les quatre ontologies sont décrites à partir de l'une d'elles, qui organise tout le livre, comme l'auteur le reconnaît expressément (ex p.337) : le naturalisme. En conséquence, pour théoriser le dépassement de la nature et de la culture, il faut bien en avoir d'abord intégré la distinction, et si elle est contingente à l' « Europe », c'est de cette contingence que l'on repart pour décrire les autres contingences, annexées. Descola part en effet, par exemple, de l'individu et de la dualité entre l'intériorité et la physicalité (cf. âme et corps) pour théoriser les autres ontologies... qui prétendûment ne connaissent pas "consciemment" cette distinction. Les voilà qui les connaissent maintenant pour se connaître elles-mêmes : on ne change pas dans cet ouvrage de paradigme de pensée, on applique celui que l'on connaît au reste du monde. Et donc les théorisations de l'animisme, du totémisme et de l'analogisme dépendent elles-mêmes du naturalisme. Où l'on ne voit pas bien ce que l'on a dépassé puisque le principe et les méthodes du dépassement des concepts sont exactement les mêmes que ceux qui en ont théorisé la distinction... J'aurais aimé un même paradigme du point de vue de l'animisme, du totémisme ou de l'analogisme (bien que l'analogisme paraisse proche des ontologies distinctes de Strawson par ex, et l'animisme de l'intellect unique d'Averroès).

Autre chose, j'ai décroché en vérité à la fin de la première partie où les tentatives d'expliquer la spécificité de la distinction nature-culture en "Europe" (et donc également aux Etats-Unis-Canada) mènent à pointer la "révolution néolithique"... centrée donc en Mésopotamie (Irak). De là, on passe à un "néolithique européen" [sic]. Le reste m'a paru encore plus "abstrait" : il s'agit de prétendre que tout vient De Grèce (d'Homère à Aristote), "puis" du Christianisme (la Genèse). Comment passe-t-on du néolithique mésopotamien à Homère ? Comment passe-t-on de changements comportementaux (double domestication des plantes et des animaux) à l'analyse de textes écrits ? La Genèse n'est-elle pas antérieure à Aristote ? et même si elle pénètre à Athènes après la philosophie, c'est d'abord en Mésopotamie la Genèse qui y est exprimée, puis la philosophie d'Aristote. Si bien qu'avec la révolution néolithique pour socle commun, on n'a décidément aucun élément de compréhension de la contingence de la distinction entre nature et culture à Paris plutôt qu'à Babylone. Et on ne peut que remarquer que tout est encore européano-centré parce qu'assembler Jérusalem, Athènes et Rome (qui rejette la silva et le monde barbare hors de la cité) paraît suivre avec une très grande rigueur les sources théoriques de la notion d' « Europe ».

Il reste donc un texte très européanocentré, qui ne permet pas de changer de mode de pensée, mais de poursuivre celui que l'on prétend à l'oeuvre (la modernité) qui tolère et se divertit de modes de pensée différents, mais pensés à partir de ses propres concepts. A mon avis, c'est cela l'européanocentrisme : donner au monde des concepts d'explication de ses modes spécifiques de penser à partir d'une pensée prétendûment européenne - et ne pas envisager d'autres méthodes pour exprimer l'universalité. L'excipit le dit clairement : il faut des « modes de conciliation et [des] types de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, à la fois ouverte à toutes les composantes du monde et respectueuse de certains de leurs particularismes » au risque d'abandonner « au cosmos une nature devenue orpheline de ses rapporteurs parce qu'ils n'avaient pas su lui concéder de véritables moyens d'expression ». Si la nature est orpheline, c'est qu'elle n'a plus son tuteur : l'homme. La distinction n'est pas dépassée, il s'agit seulement d'être un peu plus « tolérant ». Si bien qu'à mon avis, cet ouvrage n'a aucune chance de donner des moyens de penser un dépassement de la distinction entre nature et culture et encore moins d'inventer une nouvelle universalité : son auteur n'a pas conscience qu'il est entièrement emprunté dans celle qu'il prétend dépasser.

Reste que les paradigmes proposés pourront servir aux auteurs de romans (c'est expressément proposé dans la conclusion) puisque ce sont des systèmes de cohérence qui sont décrits. Reste aussi que c'est, du moins au début, car après, c'est plus techniques et embarrassant, formidablement bien écrit et qu'on se laisse emporter comme une plume d'un bout à l'autre du monde par la littérarité des phrases et leurs mouvements de mots.
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Il est des lectures qui renversent plus ou moins abruptement la perspective. Il en est d'autres, plus rares j'en ai le sentiment, qui décalent la perspective.
Renverser la perspective est prendre un point de vue déjà objectivé. La déplacer est prendre un point de vue insoupçonné.
L'ouvrage de Philippe Descola dégage ainsi quatre ontologies (totémisme, naturalisme, analogisme, animisme) mises en place comme autant de manières d'appréhender le monde de la chaîne continue des êtres à la dichotomie naturaliste. C'est cette dernière qui, selon lui, a produit et est nourrie par la démarche scientifique en occident.
Il en ressort une critique assez vive de l'émergence des ethnosciences qui se proposeraient de mettre en perspective ce qu'il y a de théorie et de pratique scientifiques chez des populations pour lesquelles les relations entre nature et culture ne fonctionnent pas selon les mêmes principes.
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"Habiter le monde et lui donner un sens", c'est ce que fait chaque société, chaque "collectif".

Philippe Descola, ethnologue, part d'abord d'un constat, celui que notre manière de voir le monde, divisé entre nature et culture, n'a rien d'universel au sein des sociétés humaines. Que l'anthropologie, qui "étudie les phénomènes sociaux et _culturels_", part donc de présupposés marqués par une vision du monde qui n'est pas universelle, mais ethnocentrique, qui l'empêchent d'appréhender pleinement les autres manières. Et que c'est probablement le cas de tous les sciences humaines.

Il essaie d'analyser les rapports de l'homme au monde en se basant sur deux mécanismes, l'identification et la relation, il dégage d'abord quatre modes de rapports au monde, quatre orientations cosmologiques, basés sur des modes d'identification physiques et spirituels entre humain et non humain.

* le NATURALISME, c'est notre civilisation moderne, nos religions et notre science, qui font le pari que les humains et les non humains obéissent aux même lois physiques mais que les humains s'en distinguent radicalement par leur esprit, leur culture (leur âme).

* L'ANIMISME, exact opposé, fait l'hypothèse que les intériorités des non humains sont équivalentes à celles des humains, mais qu'ils en diffèrent par le physique. En effet, c'est très très exotique.

* le TOTEMISME met l'accent sur l'identité à la fois physique et spirituelle entre humains et non humains en des groupes d'appartenance. Exotique aussi.

* Enfin, l'ANALOGISME disjoint totalement les humains et les autres éléments du monde mais les relie par des relations de correspondance. Ca nous est plus familier, car l'astrologie par exemple, ou certaines philosophies orientales sont basées sur ce genre d'approche du réel.

A partir de cette classification, Descola étudie la manière dont les groupes peuvent se singulariser, et aussi les relations possibles qui peuvent s'établir entre humains et non humains. Des considérations passionnantes sur une multitude de sujets et de sociétés, sur le cannibalisme, par exemple, ou la domestication.

Evidemment, c'est hyper résumé car c'est un livre bien épais, érudit, riche, et passionnant de bout en bout, bien qu'un petit peu ardu à lire (du moins pour moi). Une plongée dans l'altérité, un ouvroir, une aide inestimable pour penser hors de ses barreaux, ou au moins prendre conscience de ces barreaux. Descola s'essaie sans trop d'illusion à cet exercice, et malgré une ironie discrète, n'émet pas de jugement de valeur.

Derrière tout ça, je pense, il y a évidemment un enjeu : celui de notre biosphère, où ce que nous appelons la "nature". Changer notre mode d'identification au non humain serait bien peut-être un besoin urgent. Mais aussi autour de nous, les objets "animés" technologiques vont peut-être prendre une part de plus en plus importante.

Prochaine lecture : "Ecrivains, savants et philosophes font le tour du monde", de Michel Serres.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Car ce n’est pas un fourmillement de sociétés singulières que l’analogisme déploie sur le fond de cet universalisme que l’on ose à peine qualifier de « naturel », mais bien un universalisme d’un autre ordre, celui des myriades de subjectivités diffractées qui animent toute chose d’une intention à découvrir, d’un sens à interpréter, d’une connexion à dévoiler ; un universalisme « spirituel » donc, à défaut d’être strictement « culturel ». Et c’est là probablement une raison du succès persistant des « sagesses orientales » dans un Occident désenchanté : en éliminant tout de go l’irritante question du relativisme culturel, zen, bouddhisme ou taoïsme offrent une alternative universaliste plus complète que l’universalisme tronqué des Modernes. La nature humaine n’y est pas morcelée par l’emprise de la coutume et le poids des habitudes puisque tout homme, grâce à la méditation, est réputé pouvoir puiser en lui-même la capacité d’expérimenter la plénitude dun monde sans fondements préalables, c’est-à-dire débarrassé des fondations particulières qu’une tradition locale pourrait lui assigner. On comprend que des biologistes ou des physiciens habités par des aspirations monistes aient pu être séduits par cet aspect de l’analogisme que les philosophies asiatiques leur fournissaient sous une forme réflexive déjà hautement élaborée – mais aussi plus facile à accepter pour des scientifiques que les doctrines analogiques de la Renaissance par opposition auxquelles leurs propres savoirs disciplinaires s’étaient justement édifiés.
C'est à chacun d'entre nous, là où il se trouve, d'inventer et de faire prospérer les modes de conciliation et les types de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, à la fois ouverte à toutes les composantes du monde et respectueuse de certains de leurs particularismes, dans l'espoir de conjurer l'échéance lointaine à laquelle, avec l'extinction de notre espèce, le prix de la passivité serait payé d'une autre manière : en abandonnant au cosmos une nature devenue orpheline de ses rapporteurs parce qu'ils n'avaient pas su lui concéder de véritables moyens d'expression.
(fin)
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L'émergence de la cosmologie moderne résulte d'un processus complexe où sont inextricablement mêlés l'évolution de la sensibilité esthétique et des techniques picturales, l'expansion des limites du monde, le progrès des arts mécaniques et la maîtrise accrue qu'il autorisait sur certains environnements, le passage d'une connaissance fondée sur l'interprétation des similitudes à une science universelle de l'ordre et de la mesure, tous facteurs qui ont rendu possible l'édification d'une physique mathématique, mais aussi d'une histoire naturelle et d'une grammaire générale.
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Envisagés du point de vue d'un hypothétique historien des sciences jivaro ou chinois, Aristote, Descartes ou Newton n'apparaîtraient pas tant comme des révélateurs de l'objectivité distinctive des non-humains et des lois qui les régissent que comme les architectes d'une cosmologie naturaliste tout à fait exotique au regard des choix opérés par le reste de l'humanité pour distribuer les entités dans le monde et y établir discontinuités et hiérarchies.
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Si l'on reconnaît que la plus grande partie de l'humanité n'a pas, jusqu'à une date récente, opéré des distinctions tranchées entre le naturel et le social, ni pensé que le traitement des humains et celui des non-humains relevait de dispositifs entièrement séparés, alors il faut envisager les divers modes d'organisation sociale et cosmique comme une question de distribution des existants dans des collectifs : qui est rangé avec qui, de quelle façon, et pour faire quoi ?
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Vidéo de Philippe Descola
Nature invitée à siéger dans des comités de direction. Nature représentée par des écosyndicats. Nature devenant actionnaire de multinationales, et se muant parfois même en société commerciale…
Depuis quelque temps, d'audacieuses initiatives rebattent les cartes de la gouvernance des affaires, avec au programme un même espoir sous-jacent : celui d'émanciper la nature de son statut de ressource, de promouvoir ses intérêts, et d'instituer une délibération visant à réconcilier entreprise et nature.
La difficulté, comme le dit si bien Philippe Descola, c'est que ça n'existe pas, la nature. Quels non-humains cherche-t-on alors à écouter, exactement ? Comment les représenter dans nos organisations ? C'est tout l'enjeu de cet ouvrage : réfléchir à la « natura laborata », à la nature mise au travail. Et lui donner voix au chapitre en imaginant de nouvelles façons de gouverner l'entreprise. Un projet mêlant sciences politiques, dilemmes philosophiques et excursions anthropologiques.
https://www.editionsquanto.org/produit/74/9782889156146/la-nature-au-travail
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