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Repartant d'une des intuitions phares de Foucault dans "Les mots et les choses", à savoir que la Culture, et partant l'Homme, était une invention récente du monde occidental, Philippe Descola, anthropologue de son état, se lance dans une folle aventure : démontrer que le dualisme entre Nature et Culture non seulement est une convention, un filtre pour comprendre les choses, mais surtout qu'il ne concerne pas beaucoup de collectifs à travers le globe.

Très longtemps l'ethnographie s'est construite autour de ce modèle pratique : la nature, sauvage, d'un coté, et l'homme de l'autre qui soit savait s'en accommoder, soit essayait de la dompter et d'y appliquer ses schèmes culturels. Matière vs Société. S'appuyant sur les trois années passées chez les Jivaros, puis étendant ses recherches à des dizaines de collectifs à travers le monde, Descola en est arrivé à une conclusion inverse : la plupart des hommes n'ont pas eu besoin du concept de Nature pour comprendre et maîtriser le monde qui les entoure.

Dès lors, le principe qui va guider Descola dans son enquête est à la fois simple et efficace : remarquant que deux catégories semblent être le fondement de tout sentiment d'identité (l'intériorité et la physicalité), il distribue autour de ces deux pôles les quatre façons de concevoir l'ordonnancement du monde, et la distribution en son sein entre humains et non-humains. Résumons : il y a ceux pour qui les intériorités sont identiques mais les corps différents (animisme), ceux pour qui les corps sont identiques mais les intériorités différentes (naturalisme, ou autrement dit nous-autres occidentaux modernes), ceux pour qui intériorité et physicalité sont identiques (totémisme) et enfin ceux pour qui intériorité et physicalité sont différentes (analogisme). de ces quatre façons de concevoir la réalité, Descola passe ensuite aux six façons d'établir des liens entre soi et les autres.

Le coup de force de Descola est de ne pas s'enferrer dans une démarche structuraliste, s'il classe ainsi les ontologies, c'est surtout pour faire saillir l'évidence : il n'y a pas de schème vainqueur, pas de réalité ultime, tout n'est que découpage subjectif et inconscient du Réel. Une vision "historiciste" des choses est pour lui une impasse : les sociétés "primitives" ne sont pas des collectifs en train d'évoluer vers plus de modernité, ce sont des sociétés qui ne structurent pas le monde de la même façon que nous.

"Par delà nature et culture" a beau être un pavé de 600 pages, il se lit avec un double plaisir : Descola est un pédagogue hors pair, et un conteur des plus agréable. Il allie merveilleusement bien l'analyse conceptuelle et les exemples ethnographiques variés, avec une facilité et un humour étonnants : son objet n'est pas d'empiler de froides théories abstraites mais de nous montrer le monde comme il le voit : un merveilleux tissu chatoyant et bariolé. On referme le livre plus intelligent, plus exigeant, plus respectueux, en un mot plus humain.
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J'avais déjà de gros doutes. Les paysages d'openfields à perte de vue, les publicités pour papier toilette, assurances habitation et saucisses qui vantent le « petit coin de nature », la jungle de Kipling, les Rêveries du promeneur solitaire et tant d'autres lectures m'avaient, par leur accumulation contradictoire et improbable décillée depuis longtemps : la Nature romantique, indomptable, hostile, nourricière, maternelle n'existe pas. Ça n'a pas empêché mes neurones de frétiller d'extase à la démonstration impeccable de son caractère contingent.

Aussi étrange que cela m'apparaisse maintenant, car c'est inextricablement lié, je n'avais en revanche pas réalisé que la Culture non plus n'existait pas. Enfin, c'est-à-dire que les cultures existent, évidemment, mais qu'à partir du moment où un des termes d'un dualisme s'effondre, l'autre a sérieusement du plomb dans l'aile. Et si la Nature est une construction, alors l'absolu de la Culture qui lui répond vacille également. Et boum badaboum fait le mur en carton-pâte qui s'effondre dans ma représentation du monde. Et spaaatchiiii fait le bouquet de lumière qui inonde mon cerveau d'un insigne contentement.
Foucault, que cite Descola pour rappeler qu'il a démontré l'historicité de la notion même d' « homme » et sa nouveauté éclatante puisqu'elle ne date que du 17e siècle – l'homme est une invention conceptuelle ! Oh oui ! Encore ! C'est bon ! – Foucault donc, Lahire dans un autre genre moins ambitieux mais convaincant aussi, sont des esprits capables de m'accoucher de ce genre de révélations fracassantes, de faire enfin la clarté sur une représentation qui m'avait toujours intuitivement paru bancale sans que je m'attache à démontrer pourquoi. Mais jusqu'à présent, ces estimables compagnons m'avaient laissée là, en carafe avec un monde heureusement déconstruit, fait seulement de social contingent, sans aucune structure pour suppléer à leur tabula rasa. Heureusement, il y a Descola.

Puisque le dualisme Nature / Culture a fait pchitt ou a tout du moins été réduit à un contexte historico-culturel d'émergence, il est loisible de faire un pas de côté et d'interroger d'autres ontologies, d'autres manières de concevoir le rapport au monde. C'est là que l'anthropologie entre en jeu.
De manière tout à fait didactique et ordonnée, Descola prend le temps de nous expliquer par le menu, nombreux exemples ethnologiques à l'appui, la manière dont peuvent s'organiser ce qu'il ramène à quatre ontologies. Pour structurer les points de variation à partir desquels ces conceptions se déclinent, il pose deux prémisses. D'une part l'existence universelle d'un « je » tant par sa capacité intrinsèque à se ressentir peu ou prou comme une instance délimitée et séparée d'un autre que par la posture énonciatrice qui veuille qu'on dise, dans n'importe quelle langue, « je » face à un « tu ». C'est ce qu'il appelle l'intériorité. D'autre part, les attributs physiques, corporels, sensoriels qui constituent l'existence de ce qui est au monde : humains, animaux, plantes ou montagne. C'est la physicalité.

A partir de ces deux dimensions des existants, intériorité et physicalité, se déclinent quatre variations combinatoires selon que l'une et ou l'autre soit conçue comme universelle ou spécifique à chaque existant.
L'animisme postule que toutes les intériorités sont celles d'humains, que l'on soit guépard, rocher ou acacia, on a tous en nous un esprit qui se pense humain, tandis que les physicalités divergent : plumes, fourrures, oeil de lynx ou sang de manioc, comme autant de manières d'être un corps dans le partage universel d'une intériorité commune.
Le naturalisme, en faveur dans notre monde occidental, suppose autant d'intériorités qu'il y a de cultures humaines, relègue le reste des existants à leur sort de « nature » sans réflexivité et partant sans statut de sujet. Les physicalités en revanche sont communes à tous, ce sont celles des molécules et des atomes, d'une même obéissance aux lois de la nature. Qu'on les classe ensuite en une taxinomie toujours recommencée ne fait que rendre hommage aux lois communes qui les régissent.
Le totémisme fait fluctuer physicalités et intériorités dans un mouvement qui brasse ces deux repères et les fait valser au rythme du Rêve.
L'analogisme enfin, c'est le monde des correspondances : chaque entité est différente de l'autre mais reliée de façon métonymique comme la partie signifiante d'un grand tout englobant l'intégralité du monde. C'est l'ontologie qui permet de lire votre avenir dans la course des étoiles ou les lignes d'une main, qui fait signe de tel augure, telle réminiscence. Rien n'est étranger à ce tout (ou alors on l'absorbe ou on le détruit) : physicalités éparses pour intériorités constituant un grand tout.
Ces quatre ontologies ne sont pas absolument hermétiques les unes aux autres et l'analogique a caractérisé nos temps antiques, médiévaux, cédant peu à peu le pas au naturalisme moderne. La question des glissements, de la nécessaire dimension diachronique d'une étude tant d'une ontologie à une autre qu'au sein d'un même système est d'ailleurs très succinctement posée dans Par-delà nature et culture mais peut-on vraiment le reprocher à un pavé qui fait déjà ses 700 pages bien comptées ?

Une fois cette première couche appliquée, le travail n'est pas terminé. Il faut encore supposer « des structures cognitives, émotionnelles et sensori-motrices qui canalisent la production d'inférences automatiques, orientent l'action pratique et organisent l'expression de la pensée et des affects selon des trames relativement stéréotypées ». Autrement dit, des schèmes. Ce que, pour simplifier, on pourrait, bien que cela dépasse l'application à de seules classes et innerve de manière bien plus profonde les manières d'être, appeler avec Bourdieu habitus. Descola a l'amabilité de les restreindre à six qu'il subdivise encore en deux. D'un côté ceux qui envisagent une relation d'égal entre ceux qu'ils relient (le don, l'échange et la prédation), de l'autre ceux qui obligent, soumettent l'une des parties à une forme de subordination (la production, la transmission et la protection).

Avec ces 24 fuseaux (quatre ontologies et six schèmes relationnels), vous pouvez restituer la dentelle de toutes les manières d'être au monde. Dans la pratique, vous n'épinglerez pas un spécimen par combinatoires car certaines relèvent, de l'aveu même de Descola, de la science-fiction. N'empêche, des réducteurs de tête jivaro, animistes prédateurs aux Rock cree, les modes d'appréhension du monde et de soi déclinent la partition conceptuelle que propose Descola. Et c'est confondant d'entrevoir ainsi la place prépondérante que prennent les schémas de pensée, la force de leur imposition sur la vision que tout existant qui dit je a du monde.

Malgré quelques descriptions ethnologiques qui me parlaient si peu et servaient un point si mineur de la démonstration que je les ai trouvées trop longues, malgré un vocabulaire à la précision redoutable, empruntant beaucoup à la philosophie de la logique, au droit parfois, malgré aussi l'envergure de ce gros bouquin, j'ai trouvé cette lecture passionnante. Tant parce qu'elle promet un désencombrement idéologique tout à fait salutaire que parce qu'elle tire toutes les conséquences de la méthode qu'elle se propose d'appliquer.

Dans la continuité de Lévi-Strauss, Descola ne nous laisse pas en rase campagne (si l'on peut dire…) et édifie les structures nécessaires à la mise en ordre d'une pensée sur le monde. Sa proposition reposant sur l'observation et la conceptualisation propres à l'anthropologie a essentiellement le mérite de désoccidentaliser la perspective et, par là-même, de désengluer nos chaînes prédictives. Puisque d'autres ontologies, d'autres schèmes de relation existent, nul n'est besoin de se fourvoyer plus avant dans une supposée inexorabilité de nos destins. Il ne s'agit pas de se rêver animistes, d'imaginer transformer l'idéologie capitaliste postmoderne en totémisme. Mais de considérer que si l'Europe a pu passer de l'analogisme au naturalisme en quelques siècles, si des collectifs ont pu migrer d'un schème majeur de don vers celui de l'échange, si d'autres ontologies président le rapport au monde à d'autres endroits du globe, alors l'espace pour une mutation de nos manières de pensée existe. La liberté de faire autrement.

Pour finir, en offrande sans contrepartie, pour les courageux amis qui m'auront suivi jusqu'ici et auront trouvé aride cette recension sans la moindre bestiole, en voici une charmante ribambelle tirée de ma lecture : paca, agouti, acouchi, cabiai, pécari, tapir, oiseau-trompette, caribou, chimpanzé, et last but not least, cochon d'inde.

Et pour ceux qui préfèrent songer plutôt qu'organiser, cette édifiante définition de la confiance : « Faire confiance à une personne, (…) c'est agir vis-à-vis d'elle dans l'anticipation qu'elle se comportera à mon égard dans la même disposition d'esprit favorable qui est la mienne, et cela aussi longtemps que je ne ferai rien pour brider son autonomie, c'est-à-dire sa capacité à agir autrement ; c'est donc une situation de dépendance librement consentie et qui donne tout son prix au choix d'autrui d'adopter à mon égard la même attitude que celle que j'adopte à son endroit. En somme, toute tentative d'imposer une réponse, d'énoncer les conditions ou les obligations que l'autre est tenu de suivre, représenterait une trahison de la confiance et une négation de la relation. » A l'endroit de son totem, de l'esprit maître du gibier ou d'un ami, quel magnifique fondement !
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Il est des lectures qui renversent plus ou moins abruptement la perspective. Il en est d'autres, plus rares j'en ai le sentiment, qui décalent la perspective.
Renverser la perspective est prendre un point de vue déjà objectivé. La déplacer est prendre un point de vue insoupçonné.
L'ouvrage de Philippe Descola dégage ainsi quatre ontologies (totémisme, naturalisme, analogisme, animisme) mises en place comme autant de manières d'appréhender le monde de la chaîne continue des êtres à la dichotomie naturaliste. C'est cette dernière qui, selon lui, a produit et est nourrie par la démarche scientifique en occident.
Il en ressort une critique assez vive de l'émergence des ethnosciences qui se proposeraient de mettre en perspective ce qu'il y a de théorie et de pratique scientifiques chez des populations pour lesquelles les relations entre nature et culture ne fonctionnent pas selon les mêmes principes.
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Le problème est que les quatre ontologies sont décrites à partir de l'une d'elles, qui organise tout le livre, comme l'auteur le reconnaît expressément (ex p.337) : le naturalisme. En conséquence, pour théoriser le dépassement de la nature et de la culture, il faut bien en avoir d'abord intégré la distinction, et si elle est contingente à l' « Europe », c'est de cette contingence que l'on repart pour décrire les autres contingences, annexées. Descola part en effet, par exemple, de l'individu et de la dualité entre l'intériorité et la physicalité (cf. âme et corps) pour théoriser les autres ontologies... qui prétendûment ne connaissent pas "consciemment" cette distinction. Les voilà qui les connaissent maintenant pour se connaître elles-mêmes : on ne change pas dans cet ouvrage de paradigme de pensée, on applique celui que l'on connaît au reste du monde. Et donc les théorisations de l'animisme, du totémisme et de l'analogisme dépendent elles-mêmes du naturalisme. Où l'on ne voit pas bien ce que l'on a dépassé puisque le principe et les méthodes du dépassement des concepts sont exactement les mêmes que ceux qui en ont théorisé la distinction... J'aurais aimé un même paradigme du point de vue de l'animisme, du totémisme ou de l'analogisme (bien que l'analogisme paraisse proche des ontologies distinctes de Strawson par ex, et l'animisme de l'intellect unique d'Averroès).

Autre chose, j'ai décroché en vérité à la fin de la première partie où les tentatives d'expliquer la spécificité de la distinction nature-culture en "Europe" (et donc également aux Etats-Unis-Canada) mènent à pointer la "révolution néolithique"... centrée donc en Mésopotamie (Irak). De là, on passe à un "néolithique européen" [sic]. Le reste m'a paru encore plus "abstrait" : il s'agit de prétendre que tout vient De Grèce (d'Homère à Aristote), "puis" du Christianisme (la Genèse). Comment passe-t-on du néolithique mésopotamien à Homère ? Comment passe-t-on de changements comportementaux (double domestication des plantes et des animaux) à l'analyse de textes écrits ? La Genèse n'est-elle pas antérieure à Aristote ? et même si elle pénètre à Athènes après la philosophie, c'est d'abord en Mésopotamie la Genèse qui y est exprimée, puis la philosophie d'Aristote. Si bien qu'avec la révolution néolithique pour socle commun, on n'a décidément aucun élément de compréhension de la contingence de la distinction entre nature et culture à Paris plutôt qu'à Babylone. Et on ne peut que remarquer que tout est encore européano-centré parce qu'assembler Jérusalem, Athènes et Rome (qui rejette la silva et le monde barbare hors de la cité) paraît suivre avec une très grande rigueur les sources théoriques de la notion d' « Europe ».

Il reste donc un texte très européanocentré, qui ne permet pas de changer de mode de pensée, mais de poursuivre celui que l'on prétend à l'oeuvre (la modernité) qui tolère et se divertit de modes de pensée différents, mais pensés à partir de ses propres concepts. A mon avis, c'est cela l'européanocentrisme : donner au monde des concepts d'explication de ses modes spécifiques de penser à partir d'une pensée prétendûment européenne - et ne pas envisager d'autres méthodes pour exprimer l'universalité. L'excipit le dit clairement : il faut des « modes de conciliation et [des] types de pression capables de conduire à une universalité nouvelle, à la fois ouverte à toutes les composantes du monde et respectueuse de certains de leurs particularismes » au risque d'abandonner « au cosmos une nature devenue orpheline de ses rapporteurs parce qu'ils n'avaient pas su lui concéder de véritables moyens d'expression ». Si la nature est orpheline, c'est qu'elle n'a plus son tuteur : l'homme. La distinction n'est pas dépassée, il s'agit seulement d'être un peu plus « tolérant ». Si bien qu'à mon avis, cet ouvrage n'a aucune chance de donner des moyens de penser un dépassement de la distinction entre nature et culture et encore moins d'inventer une nouvelle universalité : son auteur n'a pas conscience qu'il est entièrement emprunté dans celle qu'il prétend dépasser.

Reste que les paradigmes proposés pourront servir aux auteurs de romans (c'est expressément proposé dans la conclusion) puisque ce sont des systèmes de cohérence qui sont décrits. Reste aussi que c'est, du moins au début, car après, c'est plus techniques et embarrassant, formidablement bien écrit et qu'on se laisse emporter comme une plume d'un bout à l'autre du monde par la littérarité des phrases et leurs mouvements de mots.
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Il est deux sortes d'érudition : celle qui se partage et qui rend le lecteur plus intelligent, et celle qui écrase et fait que le lecteur n'arrive pas à comprendre et en ressort sans bénéfice. Descola fait partie de la seconde : dans un langage inaccessible, il manipule des concepts savants, dans lesquels le non initié se perd, même avec le dictionnaire à proximité.
C'est ennuyeux, sur-developpé, anti-pedagogique, au contraire de beaucoup de scientifiques qui savent raconter une histoire et se mettre à la portée du lecteur (Héritier, Levy-Strauss, Diamond pour l'anthropologie).
La thèse : une culture (la nôtre) qui se considère détachée de son environnement tout en le dominant, s'est construite avec les philosophes grecs, et a abouti à ce que nous sommes. Elle s'est construite contre de la plupart des peuples de chasseurs cueilleurs et de leurs descendants vivants encore dans des forêts reculées. Ces peuples animistes, considérent que tous les êtres vivants partagent leur intériorité, mais sont physiquement différents (je ne suis même pas sûr d'avoir compris). J'ai rapidement pris les diagonales pour éviter la noyade dans les très longs développements, les innombrables références et citations (690 pages au total), avant de déclarer forfait. Abandon par jet de l'éponge au 4eme chapitre !
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"Habiter le monde et lui donner un sens", c'est ce que fait chaque société, chaque "collectif".

Philippe Descola, ethnologue, part d'abord d'un constat, celui que notre manière de voir le monde, divisé entre nature et culture, n'a rien d'universel au sein des sociétés humaines. Que l'anthropologie, qui "étudie les phénomènes sociaux et _culturels_", part donc de présupposés marqués par une vision du monde qui n'est pas universelle, mais ethnocentrique, qui l'empêchent d'appréhender pleinement les autres manières. Et que c'est probablement le cas de tous les sciences humaines.

Il essaie d'analyser les rapports de l'homme au monde en se basant sur deux mécanismes, l'identification et la relation, il dégage d'abord quatre modes de rapports au monde, quatre orientations cosmologiques, basés sur des modes d'identification physiques et spirituels entre humain et non humain.

* le NATURALISME, c'est notre civilisation moderne, nos religions et notre science, qui font le pari que les humains et les non humains obéissent aux même lois physiques mais que les humains s'en distinguent radicalement par leur esprit, leur culture (leur âme).

* L'ANIMISME, exact opposé, fait l'hypothèse que les intériorités des non humains sont équivalentes à celles des humains, mais qu'ils en diffèrent par le physique. En effet, c'est très très exotique.

* le TOTEMISME met l'accent sur l'identité à la fois physique et spirituelle entre humains et non humains en des groupes d'appartenance. Exotique aussi.

* Enfin, l'ANALOGISME disjoint totalement les humains et les autres éléments du monde mais les relie par des relations de correspondance. Ca nous est plus familier, car l'astrologie par exemple, ou certaines philosophies orientales sont basées sur ce genre d'approche du réel.

A partir de cette classification, Descola étudie la manière dont les groupes peuvent se singulariser, et aussi les relations possibles qui peuvent s'établir entre humains et non humains. Des considérations passionnantes sur une multitude de sujets et de sociétés, sur le cannibalisme, par exemple, ou la domestication.

Evidemment, c'est hyper résumé car c'est un livre bien épais, érudit, riche, et passionnant de bout en bout, bien qu'un petit peu ardu à lire (du moins pour moi). Une plongée dans l'altérité, un ouvroir, une aide inestimable pour penser hors de ses barreaux, ou au moins prendre conscience de ces barreaux. Descola s'essaie sans trop d'illusion à cet exercice, et malgré une ironie discrète, n'émet pas de jugement de valeur.

Derrière tout ça, je pense, il y a évidemment un enjeu : celui de notre biosphère, où ce que nous appelons la "nature". Changer notre mode d'identification au non humain serait bien peut-être un besoin urgent. Mais aussi autour de nous, les objets "animés" technologiques vont peut-être prendre une part de plus en plus importante.

Prochaine lecture : "Ecrivains, savants et philosophes font le tour du monde", de Michel Serres.
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Avec "Par-delà nature et culture" on sort de la fiction pour se plonger dans une problématique toute humaine : la dichotomie qui existe ou non, selon les civilisations considérées, entre nature et culture.
D'aucuns prétendent que la "culture" est l'apanage de l'homme. Ce terme il est vrai est une invention humaine. Mais certaines civilisations qui d'ailleurs ne se réclament pas comme telles, ne conçoivent pas de distinction entre eux-mêmes, ce qu'ils représentent et leur environnement. Philippe Descola décortique, dissèque puis catégorise la perception de quatre conceptions cosmologiques : l'animisme, le totémisme, l'analogisme et enfin le naturalisme.
Un ouvrage passionnant autant qu'éclairant. Je connais à présent mon obédience.
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De la non séparation entre nature et culture envisagée à la racine.

Si l'on parvient à comprendre que la nature est un être cultivé, qu'elle est son propre jardinier, alors on ne cultivera plus la nature de façon séparée, mais comme membres de sa culture. Nos jardins seront ses nouveaux jardins, nos cultures ses propres développements culturels. Nous pouvons certainement embellir et adoucir la nature : elle porte en elle la pédagogie pour y parvenir.

"Depuis des millénaires, en effet, les Amérindiens modifient la composition de la forêt. Ils l'ont transformée en macro-jardin, en plantant un peu partout des espèces utiles aux humains."

"Les femmes Achuar traitent les plantes comme si c'étaient des enfants. Et les chasseurs traitent les animaux comme si c'étaient leurs beaux-frères."

"Voir les Achuar traiter les plantes et les animaux comme des personnes m'a bouleversé : ce que j'ai d'abord considéré comme une croyance était en réalité une manière d'être au monde, qui se combinait avec des savoir-faire techniques, agronomique, botanique, éthologique très élaborés."
"Il n'y a pas de chef, pas d'Etat, pas de spécialistes des rituels. Chacun est capable de parler avec les non-humains, il n'existe ni divinité, ni culte particulier. Ces groupes ne possèdent en fait aucun des organes permettant de structurer « normalement » les sociétés. Qu'est-ce qui les fait donc tenir ensemble ? Leur lien avec la nature ! le fait que leur vie sociale s'étend bien au-delà de la communauté des humains compense l'absence d'institutions sociales."

"Une bonne politique écologique se pratique d'abord à l'échelle locale – celle du quartier, du village, de collectivités qui décident de maîtriser la gestion des ressources communes, l'eau, l'air, l'énergie. C'est l'encouragement de ces politiques qui permettra d'aller vers un mieux vivre moins destructeur pour l'environnement.

Reste que, jusqu'à maintenant, dans les rapports entre humains et non-humains, ce sont toujours les humains qui produisent les normes. Nous aurons accompli un grand pas le jour où nous donnerons des droits non plus seulement aux humains mais à des écosystèmes, c'est-à-dire à des collectifs incluant humains et non-humains, donc à des rapports et plus seulement à des êtres."

"Donner un statut juridique à la dynamique d'un écosystème ferait que les humains ne « posséderaient » plus la nature, ils seraient possédés par elle."




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Un ouvrage, une recherche qui nous fait réfléchir à notre perception du monde, à notre représentation de la nature et de la culture.

J'ai apprécié constater que les différences sont assez significatives selon la civilisation étudiée, mais aussi, je pense que c'est également le cas dans le temps, même si cet aspect est moins approfondi... le Moyen Âge, par exemple, ne pensait pas ce rapport dans les mêmes termes que nous le pensons aujourd'hui.

Cela donne de nouvelles perspectives à de nombreuses recherches dans des disciplines diverses et variées.
Simplement un immense merci à Philippe Descola pour cette réflexion enrichissante.
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Un livre lourd à lire. le sujet serait intéressant mais il est largement trop développé, avec de nombreuses références et un style complexe, qui rebutera la plupart des lecteurs. A ne mettre entre les mains que des plus érudits, les autres laisseront rapidement tomber la lecture ou liront sans comprendre grand chose. Vraiment dommage de ne pas avoir un style plus accessible et de ne pas avoir fait de résumés.
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