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Critique de Junie


Bien qu'il me reste encore 12 jours pour m'acquitter de mes devoirs de vacances, j'ai décidé de vous parler sans plus tarder de M. Piekielny. Cet individu mystérieux ne vous est pas totalement inconnu, vous l'avez croisé dans l'escalier et il vous a salué sans vous regarder en s'effaçant poliment.
Vous l'avez déjà oublié.

Il figure pourtant, comme tant d'autres personnages à peine esquissés, indistincts, furtifs, dans un chapitre de roman. L'auteur le compare à une souris: craintive, discrète, grise, avec de longues moustaches et de petits yeux noirs, vivant cachée et loin des chats.
Gary, dans La Promesse de l'aube, lui aurait promis à l'âge de huit ans de ne jamais l'oublier. Et même de parler de lui, de lui offrir le luxe d'être célèbre quelques instants.
Une jolie anecdote, piquante, insolite, révélant un caractère original. Ah, ces écrivains, ils peuvent tout se permettre, même des choses extravagantes.
En ressuscitant cette ombre du passée, Gary réveille les fantômes du peuple des ghettos; par une simple évocation, la silhouette pathétique d'un Juif de Vilnius, à laquelle il donne un nom, une identité, un visage, il ajoute sa pierre au Mémorial du génocide.
Mais voilà que François-Henri ne l'entend pas de cette oreille: M. Piekielny est sommé de se présenter devant lui avec armes et bagages. Tel Rouletabille, il se lance à la poursuite des indices lui faisant retrouver la trace de Piekielny, 75 ans après l'invasion de la Lituanie par les Nazis. Mais voilà, la souris Piekielny est devenue une anguille: il la voit, la devine, la reconnait, et croyant enfin la saisir, elle lui échappe et disparait dans les profondeurs du passé. Il s'acharne, compulse les archives, interroge les voisins, rencontre des témoins, étudie la littérature et l'histoire de Vilnius. Relit cent fois les pages de Gary, sa biographie, ses interviews, essaie de démêler le vrai du faux. En vain. Ou presque.
Car ce n'est pas Piekielny qui l'intéresse, mais Roman Kacew qui le fascine. La vie d'un obscur immigré sans le sou, propulsé au sommet de la gloire, héros incontestable, couronné de lauriers, béni des Dieux, le glaive de Mars et la lyre d'Apollon, les sourires d'Eros et les trompettes de la Renommée.
François-Henri est ébloui par tant de dons, jaloux du talent, agacé par la vanité, ému par la détresse de l'enfant, son désir de revanche, son ardente volonté d'accéder au Panthéon que sa mère imagine pour lui. Il est surtout bluffé par la personnalité de Gary, celui qui est passé maitre dans l'art de la mystification. Mentir lui a servi à se tirer d'affaire au cours de ses tribulations; mentir lui a sauvé la vie; mentir est un atout pour écrire des romans; mentir est tellement plus amusant, c'est un jeu pour égarer ceux qui ont besoin de certitudes. Pour François-Henri, qui invente l'histoire de son personnage pour mieux nous le décrire, c'est une façon de renoncer aux certitudes pour mieux aller vers la vérité.
Gary était un grand joueur de poker, et il a souvent ramassé la mise. Tellement souvent que pour changer, il s'est mis à la roulette russe. Et là, il a perdu.
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