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Critique de Polars_urbains


Chaque samedi matin depuis plusieurs semaines, le cadavre d'un homme noir, mutilé et défiguré, est retrouvé dans un lieu public de Pretoria. L'inspecteur Francis « Bronx » Zondi, du South African Police Service, un flic désabusé par ce qu'est devenue la nation arc-en-ciel depuis la fin de l'apartheid et l'élection de Mandela en 1994, enquête sur une affaire d'autant plus délicate que l'Afrique du Sud est à nouveau en pleine période électorale. Il doit donc se plonger dans la réalité d'un pays qu'il connaît bien, entre une population noire paupérisée et des blancs revanchards et nostalgiques d'un pays qui n'est plus. Il devra également faire face à l'histoire de son pays et à ses témoins, des membres des forces spéciales sud-africaines engagées contre la guérilla communiste en Angola ou au Mozambique comme des partisans du MK, la branche armée de l'African National Congress (ANC), qui, tous, se sont fait « cocufier par l'histoire ». Avec en fond le chômage, la misère, la violence et le sida et alors que les nouveaux dirigeants ne sont pas exempts de critiques.

La mémoire courte (2006) se révèle un roman policier très habile qui mêle intimement une enquête riche en rebondissements sur des crimes de droit commun, le passé de l'Afrique du Sud et le présent postapartheid, aussi peu satisfaisant que glorieux. le personnage du policier zoulou, enfant de Soweto à qui on ne la fait pas, que l'on soit blanc ou noir, est attachant ; pour Zondi, qui connaît parfaitement le terrain sur lequel il évolue, l'intuition l'emporte sur les connaissances psychologiques des profileurs, bien qu'il appartienne à cette catégorie depuis un stage aux Etats-Unis qui lui a valu son surnom de « Bronx ». Humain et attentif, dénué de tout esprit de vengeance sociale ou raciale, il sait toutefois être sans pitié envers ceux qui ne respectent rien, comme la vieille logeuse qui ne pourra plus jamais louer sa « porcherie » à plus pauvre qu'elle ou le jeune révolutionnaire congolais exilé – « un merdeux bien-pensant et prétentieux » - qui profite de sa position pour recruter des mercenaires : le boulot de Zondi, c'est de « faire le ménage, pas la charité. »

On sait que dans la plupart des romans policiers africains, l'information sociologique l'emporte sur la trame criminelle et les intrigues. Dans le cas du polar sud-africain, la réalité politique et économique postapartheid constitue l'épine dorsale des oeuvres : démocratie mise à mal, misère et chômage endémiques, corruption, criminalité grandissante, violences urbaines, affrontements ethniques, etc. Dans ce roman très noir, Louis-Ferdinand Despreez mêle avec un immense talent une affaire criminelle qui se révélera de plus en plus sordide au fil des pages à des témoignages de première qualité (et de première main) sur le pays qui lui sert de cadre, cette nouvelle Afrique du Sud qui peine à se débarrasser de ses anciens fantômes.

Derrière le nom de Louis-Ferdinand Despreez se cache un haut fonctionnaire sud-africain né en 1955, compagnon de route de l'ANC de Nelson Mandela, chargé de missions plus ou moins officielles dans différents pays d'Afrique, et qui signe en français ce polar peu politiquement correct. Un français riche et savoureux, parfois académique, souvent argotique, pour des descriptions et des commentaires d'un humour dévastateur qui rappellent Tom Sharpe.

« Comme ce que j'écris dans mes romans n'est ni correct ni convenable, il m'a semblé que le français me permettait d'aller beaucoup plus loin dans mes imprécations. L'argot français permet de mettre de la distance entre les mots et les situations. Cela dit, j'ai commencé à traduire La Mémoire courte en anglais, et je ne vais pas me faire que des amis quand le livre sortira ici ! »

Pour ceux qui ont aimé ce roman, le Noir qui marche à pied (2008) propose la seconde enquête du superintendant (il a été promu) Zondi, encore plus noire et critique.
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