Citations sur Le cycle de Syffe, tome 3 : Les chiens et la charrue (36)
J'inspirai profondément l'air frais du fleuve, comme si son parfum singulier, que je connaissais depuis si longtemps, pourrait me laver de tout ce que le monde avait fait de moi.
J'avais laissé la mélancolie m'envahir, et j'avais bercé cette sensation comme j'aurais aimé que l'on me berce moi-même, lorsque j'avais été enfant. Je finis pourtant par me rendre compte que j'avais entre les mains une tristesse maîtrisable, gérable, dont je n'avais pas grand chose à redouter. Ce mal-là avait quelque chose de thérapeutique, puisqu'il s'accompagnait d'une réalisation salutaire : cela faisait longtemps que je n'avais pas eu à craindre ma propre peine comme j'avais jadis eu à craindre la fosse.
Beaucoup d'hommes enfermés redoutent la solitude. Cela n'a jamais été mon cas. La folie qui hante les geôles, la bizarrerie qui rampe au coin des yeux et qui contamine les mots et les pensées, cela m'a toujours été plus difficile à supporter que l'abandon. A cette époque déjà, je savais ménager ma propre détresse bien mieux que celle des autres. Uldrick m'avait dressé de cette manière. Uldrick m'avait appris à me battre contre moi-même avant qui que ce soit d'autre, à remporter des victoires et à concéder des défaites. Efficacement. Proprement. Sans jamais que cela ne mette un terme à la guerre. Je savais que j'étais mon meilleur adversaire et que ces joutes étaient les seules qui importaient vraiment. Peu de vérités d'alors n'ont pas été abolies par le temps. Celle-ci en fait partie.
Refaire société, cela impliquait de se projeter dans un avenir plus ou moins proche, alors que le battement de mon propre cœur m'offensait la moitié du temps. Je percevais mon existence même comme une obscénité, une erreur qui perdurait inexplicablement, au nez et à la barbe de la décence la plus élémentaire. Je commençais à envisager qu'il me faudrait peut-être m'y accommoder, si je ne trouvais pas le courage d'y remédier, mais à ce moment-là, je n'étais pas prêt. Il y avait tout à réinventer, et la rivière était proche et profonde.
J’avais toujours trouvé le leufe trop superstitieux pour être sage, mais tout bien pesé, Thurle était devenu roi, tandis que moi, j’avais passé mes années à courtiser les désastres.
À Thari-Gene, on me surnommait Othitege. Comprends-tu ce mot ?
J'en comprends le sens, dis-je.
Tu es celui qui regarde la tempête.
Braxxe acquiesça.
Oui, fit-il platement.
Les mânes dont je connais le nom sont loin, mais tu es leur instrument. Je n'ai pas peur. Et je suis venu regarder la tempête.
Vous vous trompez. Les fléaux que j’ai mentionnés sont les stigmates, mais ils ne sont pas le poison. Les jeux de pouvoir n’ont jamais été autre chose que le reflet de l’or qui les fait naître. Tant que l’or dira qui possède, tant que l’or désignera qui commande, tant que l’or divisera les terres et les fruits qu’elles portent, il n’y aura ni paix ni liberté.
La bêche n’a pas besoin de savoir pourquoi elle creuse. Le couteau n’a pas besoin de savoir pourquoi il coupe. Nous sommes tous l’outil de quelqu’un.
Je pensais cerner les grandes lignes de ce qui se tramait, mais je préférais jouer au simplet pour entendre les choses telles qu'elles étaient vraiment.
Une maison est comme un enfant, il faut l'occuper ou se résoudre à sa ruine.