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Critique de Erik35


GERMAINE ENQUÊTE !

Comment rêver encore
du trésor des ruisseaux
des diamants et des sourires
Promis à l'aventure ?

S'interroge le poète André Dhôtel dans son très beau texte intitulé Orage (II), lui même tiré de ce petit bijou de poésie qu'est le recueil "Poèmes comme ça", paru aux éditions le temps qu'il fait au tournant de ce siècle d'avec le précédent.

Cette question que le poète se pose, c'est chez le Dhôtel écrivain qu'il s'agit d'aller y trouver réponse car, quant aux ruisseaux et aux sourires, à l'aventure et aux diamants, il n'est guère besoin d'aller chercher ailleurs que dans cette belle et si discrète (trop discrète ?) oeuvre romanesque dhôtelienne.

Il ne s'agit en revanche pas exactement d'un roman (bien que ce soit son intitulé éditorial), plutôt une longue nouvelle prenant le temps de se développer suffisamment pour donner au lecteur l'impression fugace d'un souffle tranquille et posé, lequel ne cherche qu'à s'ex-poser. Quelque chose comme ces premières lueurs d'avant l'aube, lorsque frère Soleil darde encore si timidement ses rayons brûlants, que Dame la Nuit hésite encore à retirer son long manteau de secrets et d'ombres.

C'est dans un petit village de cette douce France, dans une province campagnarde et reculée, pour ainsi dire mythologique - mais de cette mythologie des dieux insignes, de ses lares et de ses pénates, celle de la délicate Flore et de ses sœurs nymphes, celle des faunes, des dryades et autres hamadryades - où la routine y fait loi, où tout le monde se connait de toute éternité, où tout se sait bien que tout s'y cache. La saison s'expose printanière, ou dans un début d'été, impossible de le savoir avec précision ; il a plut cette nuit dans ce petit coin perdu à quelques encablures de Vouziers dans les Ardennes françaises - région privilégiée dans la géographie d'André Dhôtel, qui ne déteste pas, à l'occasion, triturer et déformer des toponymes existants - ; nous sommes dans cette ruralité d'une occupation allemande où l'on voit moins passer de soldats que de cocus, un monde entre petits trafics et histoires de famille, un moment d'accalmie pour les francs-tireurs sans doute à l'affût dans ces sous-bois mais dont on n'entendra pas les tirs : ce n'est pas le propos.
C'est l'un de ces innombrables villages de France où le train se contente de passer, sans s'arrêter. Ainsi va parfois l'Histoire.

Germaine est une vieille femme, mère de son Fabien qu'elle a eu d'un grec rencontré là-bas tandis qu'elle était servante, et de trois enfants, Ernest, Gertrude et Adeline. Cette dernière est à l'hôpital suite à des bombardements, Germaine ayant en garde ses deux petits, les vrais aventuriers de cette comptine pour grands, Charlotte et Alain.
Frédéric, qu'elle a élevé comme son propre fils, est l'enfant d'un premier mariage de son mari Martial - un mari sans mariage d'ailleurs, mais qu'importe : ceux qui pourraient s'en plaindre ne sont jamais venu en faire la remarque. Avec l'âge, il est devenu un mari aux abonnés absents, n'ayant plus pour seul plaisir que la pêche -.
Fabien et Frédéric s'entendent comme les meilleurs amis au monde. S'entendent ou s'entendaient ! Car depuis qu'il est revenu de Marseille, après "les colonies", Frédéric s'est mis en ménage puis marié deux ans avant la guerre avec la sublime, émouvante mais très égoïste Elisabeth -que tout le monde surnomme Lise - et depuis, rien n'est plus comme avant.

Surtout Ce jour-là où une vieille pimbêche, amatrice insatiable de ragots, mêle au concert d'interprétation SA vérité sur le coup de feu entendu chez Frédéric, tandis que Fabien se trouvait chez lui. Pire ! Cette redoutable mégère a la preuve absolue d'un terrible et odieux secret de famille qui relie, indubitablement, Lise à son beau-frère Fabien par un autre lien que son seul contrat de mariage.

Germaine va, à sa manière, enquêter. Parce qu'il est hors de question de laisser à cette "amie" qui vous veut du mal le bénéfice de la vérité. Elle croisera ainsi une veuve de notaire qui s'est profondément ennuyée sa vie durant, l'édile local qui se croit d'importance, le garde-forestier du village répondant au prénom antique d'Ovide dont la principales des Métamorphoses est de se prendre pour un avion quand il marche... Il y aura encore deux traîne-savates qui traficotent au marché noir ainsi qu'un homme d'affaire belge, rondouillard et généreux.

L'étrange, chez Dhôtel, est toujours au tournant du chemin. Il est sobre, élégant (même lorsqu'il revêt les atours les plus rustiques), jamais tape à l’œil ni ébouriffant. Mais il demeure longtemps cette impression d'étrangeté, de monde à part, comme si une paroi invisible avait permis aux protagonistes de son texte de vivre dans un temps présent qui soit aussi un hors-temps, de même en est-il de ces lieux de partout, des vallées, des bois, des champs... Ici comme dans d'autres ouvrages, c'est un petit coin de France comme il en existe tant, où l'auteur se complaît à décrire les détails les plus insignifiants avec une poésie et une économie de mot qui confine à la légèreté, à la gratuité heureuse et grave de l'enfance - enfance qu'il sait d'ailleurs tout particulièrement bien mettre en scène, avec un sens confondant de vérité et de tendresse -, ces lieux sont aussi, étrangement, de nulle part. Et lorsque la magie des mots rejoint le bonheur de conter, c'est inévitablement à un moment de grâce auquel le livre vous convie, de ces petits livres qui paraissent de prime abord sans importance mais dont il vous reste, et pour longtemps, cette sensation de toujours là. Sans doute est-ce parce que l'expression de ces vies faites de routine et souvent d'ennui se trouve-t-elle enchâssée dans des moments d'extraordinaire intense tout autant que dérisoire. Force est de s'y retrouver tous peu ou prou.

C'est ce que le regretté grand poète belge et écrivain Jean-Claude Pirotte, ami de Dhôtel, exprimait et résumait de bien belle manière : «Dhôtel écrit comme il marche, à l'économie, mais prodigieusement attentif aux lueurs fugitives, aux sautes de vent, à la merveille fragile d'une fleur ou d'un champignon, à la forme imagée d'un nuage, aux signaux du hasard. C'est pourquoi tous ses livres invitent à la promenade, et tous ses personnages déambulent sous l'empire d'une active paresse, et d'une dévotion éblouie à la fable du monde.»

Voila : de toutes petites choses, en apparence, qui ne sont rien moins que des moments vrais de l'immense fable du monde.
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