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Critique de CendreBleue


Je vais seulement te donner trois éléments remarquables de ce livre. le reste, ce sera à toi de le découvrir.
Premier élément: ce n'est pas un roman de science-fiction, mais le testament philosophique de l'un des maîtres de la SF du vingtième siècle. Certains pourraient décrire ce livre comme un roman psychologique, je préfère le définir comme une amusette philosophique.
Deuxième élément: c'est une voix féminine qui parle. La narratrice est une femme, Angel, la belle-fille du révérend Timothy Archer. Et je considère l'irruption de cette voix féminine et attachante, sous la plume de Philip K. Dick, comme la réconciliation de celui-ci avec le fantôme de sa soeur jumelle, Jane, décédée dans les semaines qui suivirent leur naissance parce que sa mère, paraît-il, n'avait pas assez de lait pour nourrir les deux nourrissons. Il me semble que ce livre est une tentative réussie d'expiation: en laissant parler cet « ange », cette soeur décédée qu'il n'a pas connue, mais dont le fantôme au royaume des anges l'a hanté toute sa vie, Philip K. Dick se dépouille de sa propre culpabilité et se réconcilie avec sa soeur défunte, c'est-à-dire avec lui-même.
Troisième élément: il s'agit du dernier volet de la « Trilogie divine », le livre qui l'achève et l'illumine. Certains lecteurs remettent en question cette appartenance à la Trilogie en prétextant que le lien avec les deux premiers livres est ténu, voire inexistant, si ce n'est l'affirmation de l'écrivain que les trois livres ont le Christ pour objet. Or, c'est bien de cela dont il s'agit: la Trilogie est un chemin qui mène son écrivain au Christ… Écoute ce que le personnage du révérend dit à Angel, lorsque celle-ci lui déconseille de publier un livre inepte qui détruira sa réputation: « Non, il faut le laisser sortir. J'ai des années d'expérience dans ce domaine, on doit affronter sa propre folie — je parle bien entendu de la mienne — et ensuite, ensuite seulement, entreprendre de la rectifier. Cette rectification sera mon prochain livre. » Est-ce que tu saisis cette mise en abîme? « On doit affronter sa propre folie — je parle bien entendu de la mienne »: c'est évidemment l'écrivain qui parle, l'écrivain qui a sombré dans la folie; qui a produit de cette folie une « Exégèse »; qui a publié un premier livre de convalescence touchante, « VALIS », traitant de cette exégèse, puis qui écrit un second livre, « L'Invasion divine », une sorte de purgatoire, avant de « rectifier cette folie », dans ce « prochain livre » qui est, de fait, « La Transmigration de Timothy Archer ». « La Transmigration de Thimothy Archer » est oeuvre de rectification, oeuvre de réconciliation, oeuvre d'intégration: Philip K. Dick meurt guéri, et quel meilleur titre pour annoncer cette guérison que celui de la transmigration? Notre âme n'est-elle pas immortelle et inaltérable, nous rappelle l'écrivain? Ne fait-il pas écho à Socrate qui au soir de sa vie, après avoir bu la ciguë, demande un sacrifice à Asclépios, puisque la mort, en libérant son âme du corps, couronne l'oeuvre de sa vie qui a été de se libérer de la corruption et de l'illusion de la dualité? La Trilogie divine n'est pas une oeuvre de science-­fiction: c'est le récit d'une guérison, le récit d'un écrivain de science-fiction partageant son expérience de la folie et de la guérison. Et que nous enseigne-t-il, fondamentalement, cet écrivain? Que sa folie résultait d'une recherche biaisée de la Sagesse, qu'il s'était perdu dans la recherche naïve d'une illumination totalisante, d'une connaissance toute-puissante, et que sa guérison, c'est là, note bien, la révélation importante, résulte de la découverte de la compassion. Compassion que l'écrivain s'autorise d'abord pour lui-même, à travers ses personnages, mais compassion qui le réconcilie aussi avec le genre humain, grâce notamment à cette corde de salut qui a été la sienne tout le long de son oeuvre: l'humour, humour encore à l'oeuvre dans la chute typiquement « phildickienne » du livre. Et je te laisserai ici, futur lecteur, découvrir de toi-même vers quel corps l'âme du pasteur a transmigré, en te proposant néanmoins de répondre à cette question: s'agit-il d'une chute pessimiste et effrayante, fidèle aux tendances gnostiques de l'oeuvre de K. Dick? Ou bien s'agit-il d'une chute revigorante, car emplie de compassion et d'amour? Je vois que tu hésites. Tu me demandes un indice ? Eh bien, soit, ce vers du « Paradis » de Dante, que cite Philip K. Dick pour que nous puissions mieux l'accompagner dans son cheminement: “Au feu profond je pus voir enfouis, reliés par l'amour en un seul livre, tous les feuillets épars de l'Univers.”
L'amour est le grand liant de l'Univers: ce qui réconcilie et qui rassemble, ce qui signifie et qui justifie. le leg ultime de P. K. Dick.

©Cendre-Bleue
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