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Critique de encoredunoir


Donc oui, on peut avoir vu trois ou quatre fois le film de John Boorman sans s'être posé la question de savoir s'il s'agissait de l'adaptation d'un roman. Et oui aussi, on peut être surpris par ce livre même si Boorman en a réalisé une adaptation plutôt fidèle.
Paru en 1970, Délivrance raconte l'expédition dramatique de quatre citadins partis descendre en canoë la rivière traversant une vallée reculée de Géorgie avant qu'un barrage ne vienne l'immerger. Car, en effet, ce retour à la nature sauvage est aussi l'occasion pour eux de se confronter à des hommes tout aussi sauvages.

Pour beaucoup d'entre nous, Délivrance, c'est avant tout la scène du banjo et celle de « fais le cochon », mais, au-delà de ces scènes marquantes aussi bien dans le livre que dans le film, il s'agit surtout d'une réflexion sur l'insatisfaction, la frustration créée par la société contemporaine, et la dure confrontation à la nature, espace d'aventure fantasmé avec lequel le contact peut s'avérer particulièrement rude.
De fait, l'introduction du roman nous fait découvrir un Ed, le narrateur de toute l'histoire, frustré par sa vie pourtant plutôt confortable à Atlanta, las, portant de plus en plus ancré en lui le sentiment de ne pas pouvoir réellement s'accomplir, et prompt à se laisser entraîner par son ami Lewis. Lewis, autre citadin, tout aussi fatigué de son quotidien, mais aussi sportif accompli, grande gueule et se rêvant homme des bois.
Passée une introduction consacrée majoritairement aux états d'âme d'Ed qui peut paraître un peu fastidieuse mais qui s'avère nécessaire à la compréhension de ce qui pousse le personnage à entreprendre cette expédition qui semble plus obéir à une nécessité qu'à une volonté affirmée, James Dickey instille lentement malaise et suspense. Des préparatifs de l'expédition à l'arrivée au bord de la rivière bat en arrière-plan une tension permanente prenant des formes diverses et banales : l'évocation d'un couteau entre les mains d'un enfant, un marchandage dans lequel Lewis se révèle peut-être trop hautain, une végétation qui semble engloutir les protagonistes… Dès lors, et malgré les descriptions d'une nature édénique (passé un départ où, encore trop proche des hommes malgré l'isolement de ce coin du monde, elle se trouve souillée), le lecteur ne peut qu'attendre le moment ou tout basculera en même temps que les signes annonciateurs de la perte du paradis se font plus prégnant : une chouette attaquant la tente d'Ed, la vision furtive d'un serpent et l'arrogante assurance d'un Lewis, toujours lui, avançant en pays conquis.
La rupture faite, James Dickey entre de plain-pied dans le thriller. Les quatre citadins deviennent à la fois proies et chasseurs, les caractères se révèlent et, jusqu'au bout, la tension ne retombera plus. Menée avec brio, cette partie voit le rythme s'accélérer et Dickey achever de bien ferrer son lecteur.

C'est dire combien, en fin de compte, on ne peut être que ravi par la découverte ou la redécouverte du roman à l'origine du film de John Boorman, et en particulier par sa singularité et l'efficacité d'un suspense qui ne sacrifie pour autant jamais la réflexion voulue par Dickey : sur la difficulté qu'il peut y avoir pour l'homme à trouver sa place et à se réaliser dans le monde contemporain, mais aussi sur l'illusion du paradis perdu. Si ces thématiques prenaient tout leur sens dans le contexte de l'écriture de Délivrance, en cette fin des années 1960 qui voyait monter les appels au retour à la nature, elles ne sont pas pour autant aujourd'hui dépassées et s'avèrent même totalement d'actualité, justifiant encore s'il en était besoin cette nouvelle édition. Bref, une lecture à conseiller à tout amateur de thriller intelligent.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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