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Critique de LeScribouillard


Emily Dickinson fut l'une des poétesses romantiques les plus modernes de l'Amérique du XIXe et par ailleurs d'un talent extraordinaire et merveilleusement inspirateur. Ceci étant posé, "Car l'adieu, c'est la nuit" contient sa part de frustration, car il s'agit d'une intégrale non-exhaustive - si tant est qu'on peut parler d'intégrale pour peut-être la moitié de ses 1789 poèmes.
Et quand je dis que la poésie est plus apte aux textures qu'à la narration, ça trouve tout son sens ici : la poésie de Dickinson est énigmatique, sybilline, cryptique par moments, et nécessite ou bien une démarche analytique poussée, ou bien qu'on se laisse porter par le flow. Tout est purement sensoriel, sans cesse évoquant la nature et le mysticisme, rappelant le symbolisme à la même époque où celui-ci commençait à éclore ; mais ici plus qu'ailleurs on laisse place à l'expérimental : ponctuation haletante ou hachée face à l'émerveillement ou l'effroi, phrases pas forcément verbales, quasi-absence de rimes. L'anglais dans toute sa beauté crépusculaire déploie ses sonorités aussi murmurantes que hurlées.
Comment déployer de si vastes reliefs avec des mots aussi simples et dépouillés ? Il s'agit de l'"incessante pauvreté" que recherche Emily, dont la vie particulièrement sobre et ennuyeuse lui permit de trouver le merveilleux dans le moindre détail : ici, les rouges-gorges parlent et portent des habits de petits bourgeois, là le sublime kantien peut jaillir de la moindre goutte de rosée. Il peut aussi se faire immense, dès qu'on aborde les voyages fantasmés ou les craintes métaphysiques ; mais tout est toujours porté par des mots très simples, accessibles à tous, et pourtant assemblés juste avec assez peu de relations de cause à effet pour qu'on ne devine pas facilement le mystère au chocolat. Ma seule reproche au recueil est d'ailleurs quand elle tente de faire autrement, incluant des mots scientifiques, politiques ou juste compliqués, jurant abec l'ensemble tellement humble.
Emily Dickinson craignait pour ses poèmes, ne les dévoilait jamais tant ils lui étaient intimes, sauf à de rares personnes pour savoir s'ils étaient "vivants". Et vivants, ils le sont toujours. Profondément vivants, intensément vivants. Même 150 ans plus tard.
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