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Citations sur Le peu de monde (suivi de) Je te salue jamais (58)

Change au moins
de temps en temps l'eau de mes photographies.
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CAMBRIOLAGE D'ILLUSION

Et je vis quelque part au cœur de la nuit
resplendir
une pharmacie de garde.

Monsieur, donnez-moi un somnifère,
que dorme un peu le désert au dehors.

Et le temps que se déplace de sa somnolence
le pharmacien, j’admirais
l'égalité des douleurs sur les rayons,
incurables et guérissables, toutes
dans des petites boîtes joyeuses aux couleurs vives.

Et soudain je t’ai reconnu. À l’isolement.
En haut ; là où seul l’œil de la peur accède.
Image de mort sur l’étiquette d’un flacon de poison.

Méconnaissable, dénudée, mortelle, ta figure.
Tes bras croisés, image d’effroi
à l’endroit innocent
où rêvait naguère ta gorge insouciante.

Monsieur, ai-je crié
bousculant les douleurs des rayons,
quelle erreurs détestables, comment pouvez-vous
fournir les morts en nouvelles doses
de poison sans autre ordonnance
ni volonté divine ? Comment osez-vous,
pour vendre efficacement vos produits de mort,
démantibuler des formes que nous nous évertuons
à maintenir entières efficacement
dans des flacons d’illusion scellée ?
Rendez-moi tout de suite l’original.

Je vous crois, dit le pharmacien, mais
après avoir quitté la caisse
aucune erreur n’est reconnue.
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LE PLURIEL

L'amour,
substantif,
très substantiel,
nom singulier,
genre ni féminin ni masculin,
genre désarmé.
Au pluriel
les amours désarmé(e)s.

La peur,
substantif,
singulier au début
puis pluriel :
les peurs.
Les peurs
devant tout désormais.

La mémoire,
nom propre des tristesses,
singulier,
singulier rien d'autre
et invariable.
Mémoire, mémoire, mémoire.

La nuit,
substantif,
genre féminin,
singulier.
Pluriel
les nuits.
Les nuits désormais.
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ODE À UNE LAMPE DE BUREAU

À la mémoire de mon oncle
Panayòtis Kalamariòtis


Vieille lampe de bureau,
œuvre d'un artisan d'Anatolie
plein d'invention, de prévoyance.
Un de mes oncles, un juge, la rapporta de Smyrne
et à sa lumière
se sont unis les lois et les actes des hommes.

Elle en sait long sur les circonstances atténuantes,
les moments de folie, la préméditation.
Tous ces coups dans la poitrine par jalousie,
ces vendettas pour un mur mitoyen,
pour une chèvre broutant chez le voisin.
Elle a connu un tas de bons antécédents,
est tombée amoureuse de coupables.

Pauvre cher oncle,
comment ça se passe avec le nouveau législateur
et ses lois —
la mort n'est pas une matière au programme.
Tu n'as pas plaidé pour ton existence.
Mais la vie fait partie
des causes perdues,
même pour les meilleurs juristes,
dont tu étais.

J'ai reçu la lampe en héritage.
Travaillée avec invention
et surtout prévoyance.

Sa lumière, quand elle vient se placer
comme un autre lecteur fatigué
du même livre que moi
ou comme arbitre entre la page blanche
victorieuse une fois de plus ce soir,
et, vaincu, ce que je voulais écrire,
jaillit d'entre des palmes touffues.
Bon stimulant pour la végétation.
Sous le palmier,
debout, penché, l'air doux, un vieillard.
L'artiste avait talent et expérience :
la lumière et les palmes seules
ne peuvent lutter face aux peurs et au temps.
la solitude craint seulement la personne à côté.

C'est donc bien qu'il soit là, ce vieillard.
Djellaba et turban font de lui un oriental
ainsi que son visage brun décharné.
Son bras tendu, on ne sait
s'il appelle à s'approcher,
s'il exige, ou explique, ou indique ou prédit.
Un artiste peut ramasser tout cela
dans un même geste,
de même que la vie ramasse tout en un passage.
C'est peut-être un muezzin
en train d'expliquer à son dieu
ce qui manque à ce monde.
C'est peut-être un mendiant.
Ou un veilleur de nuit, gardant
la tropicalité au-delà de la lampe.
Peut-être un rhéteur déchu qui fait dans le décoratif,
un ascète,
ou un marcheur qui dans le désert au-delà de la lampe
a trouvé une ombre imprévue.
Qui sait ? Un voyageur
qui a perdu son chemin
mais aussi le sens de son voyage.
Et maintenant, levant le bras, il me demande
quel est le chemin et ce que cela veut dire.
C'est à moi qu'il demande
quel est le chemin et ce que cela veut dire ?

Veilleur de nuit, mendiant,
voyageur ou rhéteur,
mahométan ou apatride,
peu m'importe.
Moi,
quand je vois passer les années,
quand je vois comment va le monde,
je fais de lui un Prophète.
C'est en Prophète que j'ai besoin de lui,
quand je vois se perdre les années,
quand je vois où en est le monde.
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SIGNE DE RECONNAISSANCE
Statue de femme aux mains liées

Tout le monde t’appelle aussitôt statue
et moi aussitôt je te donne le nom de femme.

Tu décores un jardin public.
De loin tu nous trompes.
On te croirait légèrement redressée
pour te souvenir d’un beau rêve,
et prenant ton élan pour le vivre.
De près le rêve se précise :
tes mains sont liées dans le dos
par une corde de marbre
et ta posture, c’est ta volonté
de trouver quelque chose qui t’aide
à fuir l’angoisse du prisonnier.
On t’a commandée ainsi au sculpteur :
prisonnière.
Tu ne peux
peser dans ta main ni la pluie
ni la moindre marguerite.
Tes mains sont liées.

Ce n’est pas seulement le marbre qui te garde
comme Argus. Si quelque chose allait changer
dans le parcours des marbres,
si les statues entraient en lutte
pour conquérir la liberté, l’égalité,
comme les esclaves,
les morts
et notre sentiment,
toi tu marcherais
dans cette cosmogonie des marbres
les mains toujours liée, prisonnière.

Tout le monde t’appelle aussitôt statue
et moi tout de suite je t’appelle femme.
Non pas du fait que le sculpteur
a confié une femme au marbre
et que tes hanches promettent
une fertilité de statue
une belle récolte d’immobilité.
À cause de tes mains liées, que tu as
depuis que je te connais, tous ces siècles,
je t’appelle femme.

Je t’appelle femme
car tu es prisonnière.

traduction de Michel Volkovitch
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Pierre périphrase


Parle,
Dis quelque chose, n’importe quoi.
Mais ne reste pas là comme une absence en acier.
Choisis ne serait-ce qu’un mot,
qui te liera plus étroitement
à l’indéfini.
Dis :
« en vain »,
« arbre »,
« nu ».
Dis :
« on verra »
« impondérable »,
« poids ».
Il y a tant de mots qui rêvent
d’une vie brève, sans liens, avec ta voix.

Parle.
Nous avons tant de mer devant nous.
Là où nous finissons
la mer commence.
Dis quelque chose.
Dis « vague », qui ne tient pas debout.
Dis « barque » qui coule.
quand trop chargée d’intentions.
Dis « instant »,
qui crie à l’aide car il se noie,
ne le sauve pas.
dis
« rien entendu ».

Parle.
Les mots se détestent les uns les autres,
ils se font concurrence :
quand l’un d’entre eux t’enferme,
un autre se libère.
Tire un mot hors de la nuit
au hasard.
Une nuit entière au hasard.
Ne dis pas « entière »,
dis « infime »,
qui te laisse fuir.
Infime
Sensation,
tristesse
entière
qui m’appartient.
Nuit entière.

Parle.
Dis « étoile », qui s’éteint.
Un mot ne réduit pas le silence.
Dis « pierre »,
mot incassable.
Comme ça, simplement
pour mettre un titre
à cette balade en bord de mer.
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Les souffrances de la pluie


En pleins raisonnements et déraisonnements
la pluie s’est mise à faire fondre minuit
avec toujours ce bruit de défaite
tu, tu, tu.
Bruit sourd, tout plein de solitude,
bruit normal d’une pluie normale.

Mais la déraison
m’a enseigné une autre écriture,
une autre lecture des sons.
Et toute la nuit j’écoute et lis la pluie,
t près d’un u, u près d’un t,
caractères de cristal entrechoqués
qui chuchotent leurs tu, tu, tu.

Toutes ces gouttes qui te tutoient,
toute la nuit
bruit toujours identique et ses malentendus,
bruit nocturne,
nécessité nocturne du tu,
pluie bégayante,
comme l’intention ratée
de raconter une longue histoire
tout ça pour ne dire que tu, tu, tu,

nostalgie monosyllabique
tension d’un mot unique,
un tu comme mémoire,
un autre comme critique,
fataliste,
tant de pluie pour une absence
tant d’insomnie pour un mot unique,
elle m’a soûlée cette nuit la pluie
avec sa partialité
tu, tu, tu, rien d’autre
comme si tout le reste ne comptait plus
et que tu sois partout.


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DESSEINS ANIMÉS

C'est sûr, dans la ronde sans fin
de l'offre et de la demande
tu as dû m'emprunter quelques sentiments.
C'est sûr, toutes ces années de tabagie, un jour,
tu as dû être à court de tabac.

Si maintenant tu pouvais en échange
pour deux-trois jours me prêter un amour.
On m'invite à une comédie circulaire
et l'invitation précise bien
tenue opaque — il ne faut pas
que transparaisse l'insupportable.

Je te le rendrai intact.
Même si je me soûle, si je me salis,
ne crains rien, l'éternel sur l'amour
ne laisse jamais de taches.

Ne serait-ce qu'un ou deux jours. Je veux y aller
dans de beaux habits d'emprunt
craie ostensiblement cassante
orgueilleusement pendue
au bras de l'éponge qui m'accompagne.
Ne serait-ce qu'un jour.

Non, pas celui-là, je n'en veux pas, non
pas l'amour charitable que reprend
ta main dès qu'elle tombe dans la mienne.
C'est l'autre que je veux, l'autre
la passion folle que tu éprouves pour quelqu'un
toi encore et tu le supplies
de te prêter son amour
ne serait-ce que deux-trois jours non pas celui-là,
non pas l'amour charitable que reprend
sa main dès qu'elle tombe dans la tienne,
mais l'autre que tu demandes l'autre
la passion folle qu'il éprouve
pour quelqu'un d'autre lui encore
et à son tour le supplie
de lui prêter un amour
ne serait-ce qu'un jour, non pas le charitable
et ainsi va sans gloire notre sauvagerie.

Ce qui prêteurs nous rehausse
est ce qui nous rabaisse devenus ses mendiants.

Toujours le décalage amoureux d'un autre
et nous toujours amoureux de lui.
Et les coïncidences meurent sans être aimées.

( Je te salue jamais )
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