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Critique de maroussia29


Le sang noir des tranchées

« Allons enfants de la patrie/Le jour de gloire est arrivé ». L'espoir d'une patrie reconnaissante pousse Alfa et Mademba, deux presque frères sénégalais à rejoindre le front français. Là-bas, on le dit, il n'y a plus de différences. Un destin commun unit tous les poilus dans un même sentiment de camaraderie. Là-bas, le sang qui coule n'a qu'une seule couleur. Là-bas, le sang est noir. Et puis, l'exotisme des chocolats est divertissant. Là-bas, ils sont des soldats presque comme les autres. Mais en guise de gloire, ces deux frères d'âmes trouvent les tranchées, la boue collante, l'odeur âcre du sang qui brûle et des viscères ; l'odeur puissante de la mort qui frappe Mademba aux premiers combats.

Le sang d'Alfa ne fait qu'un tour. « Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons ! » Pris de fureur vengeresse, il donne libre cours à sa réputation de sauvage cannibale. Troquant sa baïonnette contre son coupe-coupe de paysan, transformant les champs de bataille en savane et la guerre en un safari aux allures grotesques, il part à la chasse des yeux bleus jumeaux qui ont tué son ami d'enfance et se mue en grand fauve.

« Entendez-vous dans nos campagnes/Mugir ces féroces soldats ? » Pour tous, il devient la mort – La mort noire, plus forte encore que les obus, que les éventrations, que les gaz asphyxiants. Il devient la promesse de la mort, plus forte encore que la mort qui rode en permanence autour des hommes. Mais quoi de mieux que la comédie de la folie pour la déjouer et rester vivant dans ce monde privé de tout sens, ce monde où les Français tue les soldats français parce qu'ils refusent de mourir ?

Le parcours de ce nouveau Candide – égaré sur un sol qui se dérobe sous ses pieds et dans une France qui le rejette – offre un point de vue inhabituel sur l'épopée tragique des poilus, dans un récit bref qui mêle la fraicheur des contes africains et le réalisme cru, quasi chirurgical, des descriptions des corps en décomposition. Dans une langue puissante mais tout en retenue, David Diop donne littéralement corps à ce qui est connu dans l'Histoire sous le nom de « La Grande Boucherie », la bien-nommée. Il montre à quel point, loin des slogans patriotes ou revanchards, elle fut avant tout une vaste entreprise de déshumanisation dont les conséquences furent profondes autant que durables. Car elle n'a pas seulement changé la face du monde : elle a aussi changé le coeur des hommes.
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