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Critique de cindyabouchacra


Cela se passe pendant la première guerre mondiale. La France se bat contre l'Allemagne. le capitaine siffle l'attaque. Mademba Diop, un des tirailleurs sénégalais de l'armée française est le premier à s'élancer hardiment vers le champ de bataille. Il veut prouver à son ami d'enfance Alfa Ndiaye qu'il n'est pas un « fanfaron » dont le totem n'est qu'un « volatile orgueilleux ». Blessé à mort après cet acte téméraire, il supplie Alfa, au nom de leur amitié, de l'égorger pour mettre fin à ses souffrances mais le jeune soldat n'ose pas, parce que les lois humaines et la religion le lui interdisent, parce que seul Dieu a le droit d'ôter les âmes, parce qu'il y a ce qu'on appelle « l'honneur » – de façade –.

Et c'est quand Mademba a lâché son dernier souffle, abandonné à sa douleur atroce, qu'Alfa « a su », « a compris » que pour sauver la pureté de sa propre âme devant le ciel, il avait ‘‘au nom de l'humanité'', tué son frère d'âme, son plus que frère, deux fois.

Retrouvé seul, livré à son chagrin, déchiré par les remords, Alfa sombre peu à peu dans la folie. La morale et ses croyances n'ont plus aucun pouvoir sur lui ; il avait été « inhumain par obéissance aux voix du devoir » « qui commandent de ne pas être humain quand il le faudrait », maintenant il était devenu « libre de ne plus les écouter » … La cruauté s'empare de sa raison.
Pour expier sa faute, il veut se venger de « l'ennemi aux yeux bleus » et tel un « dëmm », dévorer les corps et les âmes. 
Ainsi, devenu « sauvage par réflexion, inhumain par choix », à chaque tombée de la nuit, il jaillira de la tranchée, comme accouché par le ventre de la terre, et se jettera sur ‘‘un seul'' des ennemis d'en face, pour le tuer « à [sa] manière, tranquillement, posément, lentement. » Il le ligotera, lui ouvrira le ventre et l'égorgera « proprement, humainement » puis retournera à la tranchée – comparée à un sexe féminin démesuré – rapportant dans ses mains deux trophées : le fusil du soldat ennemi et la main qui le tenait. Sa sauvagerie sera applaudie, saluée par le capitaine et ses amis de guerre « Toubabs et Chocolats » ; mais dès la quatrième main, on commencera à le craindre…
Le « bizarre » était devenu « fou » puis le « fou » était devenu « sorcier ». Alfa « le soldat sorcier ».

C'est alors que le lecteur voyagera, tout au long de ce psycho-récit, dans les pensées tourmentées d'Alfa. Au coeur de la violence, le jeune homme nous chantera, comme dans un poème, son histoire, ses peines, ses regrets et la nostalgie de son enfance à Gandiol, au Sénégal. Il nous fera connaître sa famille, nous fera découvrir les traditions africaines et peules, nous parlera de la disparition de sa mère d'une beauté sans pareil, du grand chagrin de son père après ce drame et enfin, il nous racontera son amour pour Fary Thiam la fille à « la voix douce comme les clapotis du fleuve sillonné par les pirogues les matins de pêche silencieuse. »
Avec son style oral, ses nombreuses anaphores, ses expressions répétées telles un refrain, ses phrases courtes et son rythme saccadé, le texte devient un long cantique à la fois de la folie, de la mémoire et de la fraternité.
Tout y est croisé et entremêlé… Tout est dualité… Entre le bien et le mal, la vie et la mort…
« Je suis le jour et la nuit [..] l'innocent et le coupable [..] le début et la fin [..] le créateur et le destructeur. Je suis double. »
Le décès de Mademba Diop devient la naissance d'Alfa Ndiaye…
Leurs âmes se confondent...

« Frère d'âme » nous touche, nous bouleverse et nous fait réfléchir sur la cruauté et l'absurdité de la guerre. Toutefois, ce roman fascinant est avant tout une oeuvre engagée à travers laquelle David Diop donne voix aux « barbares » qu'on a longtemps ignorés, méprisés, fuis… Ces soldats sénégalais qui ont perdu leurs vies pour ne pas maculer de sang un drapeau qui n'est pas le leur, pour protéger une terre qui leur est étrangère, dans laquelle ils ne sont que des « Nègres sauvages ».
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