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Critique de domi_troizarsouilles


Oserais-je avouer que ça m'arrive encore parfois ? Eh oui : j'ai acheté ce livre, tout récemment sur un coup de tête, dans le but essentiel de grappiller quelques points dans un challenge particulier… J'avais certes déjà entendu parler de l'auteur – en bien ! – et j'ai même plusieurs de ses livres en PAL ou pour le moins dans mes souhaits de lecture, mais je n'avais encore jamais rien lu de sa plume, et ce livre-ci en particulier ne figurait dans aucune de mes listes.
Et pourtant, après l'avoir refermé, j'ai juste envie de dire : waouh !

D'abord, c'est un bel objet : les algues omniprésentes, de ce beau vert tellement trompeur, sont légèrement brillantes et reliéfées. Par ailleurs, pour moi qui lis désormais en grande partie en numérique, je continue d'acquérir des livres en format broché (ou parfois poche) si c'est « justifié », par exemple par la présence d'illustrations ou de cartes par exemple, qui sont décidément plus agréables à découvrir sur papier. C'est bien le cas ici : des cartes en effet de ce monde pas si imaginaire que ça ; le « choeur » du début et de la fin, carrément flippant, et le fait qu'il soit imprimé en blanc sur fond noir ajoute une touche à ce frisson glacé qui parcourt tout à coup l'échine ; et en début de chaque chapitre, cette longue bougie qui ne cesse de s'amenuiser, au fil du décompte des dernières heures des derniers hommes…
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, on le comprend en lisant le synopsis et ça s'annonce sans aucun doute possible dès la lecture de ce premier « choeur » en guise de prologue, et pour ceux qui voudraient encore ne pas y croire tout à fait, le sous-titre du premier chapitre ne laisse aucune marge à ce doute : 255 heures avant l'extinction… et il en reste moins en début de chaque nouveau chapitre, un véritable compte à rebours !

Oh ! l'histoire de base est assez convenue, d'une certaine façon : on se retrouve dans une société fonctionnant selon un système de castes, particulier à ce monde qui ressemblerait à un monde de fantasy… jusqu'à ce qu'on comprenne (très vite, cela dit) qu'il ne s'agit de rien d'autre que des dernières terres habitables de notre planète, autour du pôle Nord désormais quasi-uniformément désertique car offert aux rayons impitoyables d'un soleil dont plus aucune couche d'ozone ne filtre les rayons, obligeant les habitants à se vêtir de « linceuls » (ciel que ce mot seul est affreux ! – c'est quand même, nous dit le Robert, une « pièce de toile dans laquelle on ensevelit un mort. »…), de diverses couleurs selon leur niveau social.
En effet, ces derniers survivants de la race humaine se sont organisés en cités-royaumes, et notamment celle de Viridienne, située en bord de mer, où commence l'intrigue. Ces cités sont dirigées par les « apex », une race apparemment supérieure d'êtres humains aux cheveux et aux yeux de diverses teintes du sceptre violet, tandis que les autres hommes sont divisés très clairement en quelques autres castes – dont une dédiée à la nouvelle religion pour « Terra » -, allant jusqu'aux « suants », qui sont, à Viridienne, des ouvriers bêcheurs de ces algues, potentiellement mortelles, mais aussi dernière ressource de ces hommes, et qui servent absolument à tout : de la nourriture jusqu'aux vêtements, en passant par les constructions etc., dans un monde où tout autre être vivant a disparu, à part quelques arbres rachitiques et quelques-uns de ceux qu'on appelle aujourd'hui nuisibles (moustiques, sangsues et scorpions, par exemple) et dont le « meurtre » est sévèrement réprimé.

Dans ce monde sans grand espoir, qui vivote au jour le jour pour le peuple, tandis que les puissants règnent par la force et les alliances avec les voisins des autres cités-royaumes, Astréa la suante et Océrian l'apex ont leurs rêves, leurs désillusions, et leur désir d'un « ailleurs »… Leurs chemins vont bien sûr se croiser et on aura une inévitable ( ?) mais bien gentille romance (après tout, on est dans du young adult) façon « je t'aime moi non plus », qui sera bien présente sans être jamais vraiment centrale, et surtout, sans jamais effacer l'enjeu bien plus important de ce roman.
J'ai craint un moment que ce livre serait – comme je l'ai parfois ressenti dans certains livres post-apo destinés à la jeunesse – un énième plaidoyer pro-végétarisme, avec cette obsession d'Astréa surtout, contre tout qui oserait tuer le moindre animal encore vivant, et considère avec un sentiment d'horreur absolue ses ancêtres (dont moi !) qui osions en consommer. J'avais alors envie de crier à l'auteur : ce n'est pas le fait de consommer de la viande qui est en train de bousiller notre monde, après tout l'être humain est omnivore et en consomme depuis la nuit des temps ; le problème, comme toujours, c'est l'excès : nos élevages intensifs inadmissibles, notamment… Heureusement, j'ai commencé à réellement respirer lorsque notre petit groupe de héros croise un « médecin » féru de littérature ancienne (on aura un large partage des vers de Baudelaire, à partir de ce moment-là !), qui rejoint cette pensée qui me taraudait : « Terra offre généreusement ses ressources à tous ses enfants, humains y compris : c'est l'excès seul qui constitue un crime, répondit mystérieusement l'érudit. » - certes, à ce moment-là il était question des livres, que l'on faisait à partir d'arbres, chose impensable pour nos hommes de ce futur tellement plausible, puisque les arbres en ont quasiment disparu…

Je me suis d'ailleurs demandé, à ce sujet : dans cette société où les algues servent absolument à tout (ou presque), comment est-il possible que les hommes aient renoncé aux livres, n'aient pas tenté de continuer l'aventure de l'écriture en créant du papier d'algue ou que sais-je ? On le sait : la distinction officielle entre préhistoire et histoire (de l'humanité) se fait à partir de l'invention de l'écriture… Qu'a donc voulu signifier l'auteur en créant cette société post-apo (et aussi très dystopique !) qui ne connaît plus l'écrit ? C'est clairement une société qui a une structure de type moyenâgeuse (ou peut-être antique), mais certainement pas préhistorique ! Ou alors il n'a pas pensé à ce « détail », dans le but d'arriver à la découverte de Baudelaire par nos héros ? cette dernière n'aurait pas eu le même impact s'ils avaient eu accès à de la littérature dans leur vie courante…
À vrai dire, on se pose tout un tas de questions, tout au long de cette lecture, et j'ai été plus que satisfaite de découvrir que l'auteur a réellement bien « manipulé » le lecteur, car toutes ces interrogations qui ont surgi au fil de mes lecture, ont trouvé réponse dans les derniers chapitres ! sauf cette histoire de l'absence de l'écrit (et d'un support quelconque) dans cette société qui n'avait pourtant rien de préhistorique. Si ce n'est, peut-être, cette vision désespérée que la fin de l'humanité ressemble désespérément à ses débuts…

Mais je reviens à ce que je disais plus haut : histoire de base convenue, car ce sont les immuables pouvoirs de l'amour, de l'amitié, de l'engagement, du courage etc. qui affrontent la soif de puissance, le besoin de gloire, la cruauté… et qui donnent toute leur valeur à nos quelques héros, dans ce monde pourtant désespéré, où le lecteur voit les dernières heures s'égrener implacablement.
Mais ici, leur mise en scène offre un roman plein de rebondissements et retournements de situations, certains que l'on croyait prévisibles et qui s'avéreront complètement inattendus, pleins d'inventivité. Ce sont un peu plus de 600 pages où l'on ne s'ennuie jamais, où l'on a le coeur serré pour Astréa et/ou pour Océrian et leurs compagnons de route, où l'on frémit au fil de leurs rencontres rarement agréables – à part celle avec l'érudit cité plus haut, qui est une véritable bouffée d'oxygène dans un monde qui n'en a plus guère… On sait que c'est du young adult (ce qui fait que je me « méfie » toujours un peu), mais on se laisse prendre dans ce voyage plein de péripéties qui se cessent de surprendre ; on sait dès les premières pages, comme je disais plus haut, que ce livre va nous narrer les toutes dernières heures de notre propre espèce, c'est d'autant plus horrifiant que l'on sait trop bien que ce n'est même pas un avenir impossible (au contraire !), et on s'étonne même un peu que l'auteur ait été bien « optimiste » de créer ce monde à une époque qui n'est jamais révélée précisément, mais il laisse entendre que ce sont quand même plusieurs générations après la nôtre, au point que tout ce qui fait notre quotidien ait été oublié entre-temps, si ce n'est par quelques-uns…

C'est une histoire étonnamment glaçante et désespérée, mais aussi terriblement humaniste (dans un sens positif !), car elle ne cesse de mettre en avant ces valeurs qui auraient pu sauver l'humanité et, dès lors, toutes les autres espèces. Hélas, sans tomber pour autant dans un discours manichéen, l'auteur laisse entendre que l'inlassable recherche du pouvoir pour le pouvoir, l'exploitation des ressources de la terre, ont quand même conduit au désastre, et le fil ténu de l'espoir que laisse l'auteur en toute fin de volume, est aussi vacillant que la flamme de cette fameuse bougie, qui a fini par s'éteindre…
C'est un livre qu'il faudrait faire lire très largement, à nos jeunes sans aucun doute, à leurs parents sans hésiter car, malgré son orientation « jeunesse », il est très agréable à lire pour un adulte (je parle là de la plume), mais aussi à tous nos « dirigeants », certains plein de bonne intentions, mais si souvent aveuglés par ce goût du pouvoir pour le pouvoir qui ne cesse d'être dénoncé !

Quant à ce choeur glaçant et bien un peu mystérieux qui apparaît au début comme un prologue, et puis tout à la fin en épilogue, on comprend au fil des pages (je dirais que j'ai commencé à avoir des « doutes » vers le milieu du livre, à cause d'un événement particulier) ce qu'il peut bien représenter. Et ainsi, indéniablement, même s'il est un élément de cet infime fil d'espoir qui est laissé, il participe aussi à ce sentiment de malaise diffus qui ne quitte plus le lecteur, plusieurs heures après l'avoir refermé. Glaçant, mais magnifique !
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