Citations sur L'Apocalypse de Jonathan (30)
Je compris alors que j’étais sorti ce soir-là pour découvrir cette unique étreinte, pour savoir que tout de moi n’avait pas été égaré, qu’elle existait. Elle s’est éloignée après plusieurs minutes sans que j’aie pu voir son visage. Elle était peut-être moi, j’étais sorti hors de mon corps pour m’apporter le temps d’une apnée tout ce dont j’avais toujours manqué. Sans même la connaître je savais, par une force plus perspicace et exigeante que l’instinct, que notre terre commune elle la voyait avec les mêmes yeux que moi, nous partagions la même renonciation déterminée, l’horizon avec désintéressement. Personne ne me ressemblera jamais plus que cette inconnue d’une nuit souterraine.
Ma génération dispose de sa propre parentalité. Nous prenons conscience bien plus tôt des défaillances de nos parents, y voyons des humains bien avant d’en avoir fait des dieux. Il n’y a plus personne en qui croire, tout déçoit et tout est permis, nos parents nous accoutument à la déficience, nous pouvons faire pareil, c’est notre nature, l’ordre des choses. C’est le modèle défectueux que nous avons, plus personne n’a la guerre et la pénurie dans le sang, plus personne n’est ce genre d’adulte.
Ma génération espère le sexe sans considération, pour la performance tout au plus. C'est un des rares terrains où nous confronter aux adultes, faire pire et donc mieux, repousser les limites, réinventer les normes. Outrancièrement nonchalants, nous déchirons nos corps sur les autres, la liberté des dupes, on peut faire tout ce que l’on veut puisqu’il le faut. La guerre est polymorphe.
J’ai conscience de mon ambivalence. Je joue les balanciers. Je me suis construit entre deux pôles adverses. J’aime avec rage, je hais avec passion.
Je ferme les portes et les fenêtres. Tout. Hermétiquement. Mais sans cesse rentrent des mouches et des cafards. Ils se moquent de moi. Ils sont pliés en deux et me montrent du doigt. Ils sont sur les vitres. Sur les murs. Ils courent sur mes plaies. Ils y restent. Ils y font des nids. Ils grouillent et rigolent bien de me voir ainsi.
Je donnerais cependant tout le bonheur que j'ai pour qu’elle en possède un peu plus. Lionne est ma dernière muse, ma petite déesse dont les larmes, en tombant sur le sol, font pousser des coquelicots fragiles. Tout ce que je peux faire quand elle doute ou quand elle se sent seule, c’est lui cacher que moi aussi. Je n’ai jamais su jouer les grands frères, je lui raconte juste que l’horizon n’est pas si loin, qu’elle grandira encore, les dépassera une fois pour toutes. C’est la seule personne qui me ressemble, la seule qui me fasse ressentir la densité et le poids du sang. Lionne ma jumelle, je n’existais pas les trois ans qui ont précédé sa naissance. Ma famille unique. Je ne nie pas ma dépendance, je suis accroc, j’en veux encore de cette virulence, de sa fulgurance dans mes yeux.
L'apocalypse est humaine.
Toute l’humanité, de l’homme de Neandertal jusqu’à l’informaticien, du pharaon au boulanger, toute l’humanité devait un jour y être confrontée et la mort même n’est plus un refuge à la néantisation. Les morts attendaient qu’on vienne les prendre, en dormant d’une singulière manière. Ils seront juste plus faciles à transporter, la poussière est déjà poussière, il n’y a qu’à les disperser dans les airs pour un sol neuf et sec, sans légataires pour tout ce qui a été dit et ce qui ne le sera jamais.
Personne ne sait ce que je fais, je suis libre, enfin. Tout est calme, la musique me parvient de loin. Un instant mon univers me paraît gigantesque grâce à tous les cœurs battant à l’unisson dans la nuit. Je me dis que l’art, c’est d’avoir une vision personnelle. Un œil, là, tout à l’intérieur. La virtuosité de la pensée que traduit le corps. Être artiste, c’est être honnête. Il peut y avoir tant de paix, tant de sérénité… Je suis un artiste.
Mentir.
La vie ne cédera pas et j’en suis vraiment désolé. Je m’envolerai de toute façon.