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Critique de Melpomene125


La bonté existe-t-elle ? Y a-t-il une place pour elle dans ce monde ou n'est-elle considérée que comme une marque de faiblesse voire d'idiotie qui rendrait inapte à la vie sociale ? L'homme bon, s'il existe, est-il forcément voué à n'avoir qu'un destin tragique, ne connaître que les tourments de l'existence et jamais le bonheur qui est impossible à atteindre ?

Un lecteur Babelio écrivait, à propos des Frères Karamazov, qu'il était hermétique à la dimension métaphysique qu'on trouve chez Dostoïevski à cause du grand pessimisme sur le fond de la nature humaine que recèlent ses oeuvres. C'est au contraire la seule dimension qui me parle et qui fait que j'aime autant cet écrivain.

Il offre une découverte de la société russe du XIXe siècle et nous invite à nous poser des questions, même si elles n'ont pas forcément de réponses uniques, dogmatiques et immuables. C'est le propre de toute démarche philosophique. J'aime cette façon de mêler intrigue romanesque, philosophie, politique et de nous inciter ainsi à réfléchir sur nous-mêmes, autrui et le monde.

Dostoïevski le fait dans L'Idiot à travers l'évocation du destin tragique du prince Muichkine qui revient de Suisse où il était soigné pour épilepsie. Dès son arrivée à Saint-Pétersbourg, il apparaît comme un être différent, un homme infiniment pur dont la candeur est objet de curiosité, de moqueries et de fascination. Elle ne lui permettra pas de sauver la trop belle Nastassia Philippovna. Sa maladie fait qu'on le croit idiot mais il est en fait plus intelligent que ne le pensent les gens. Il perçoit avec une sensibilité et une acuité intolérables le drame que vit Nastassia et veut donc à tout prix l'aider, quitte à sacrifier son propre bonheur. Il ne supporte pas le mal sous toutes ses formes et fait figure d'inadapté social. Il n'accepte pas le fonctionnement classique de la société dont la majorité s'accommode fort bien.

Nastassia est une orpheline. Totski l'a recueillie et en a fait sa maîtresse, il veut désormais épouser une femme respectable et non une courtisane. Il entreprend de se débarrasser de Nastassia. Il propose cent mille roubles à Gania Ivolguine pour l'épouser. Révoltée, Nastassia préfère s'enfuir avec Rogojine qui la convoite mais la mènera au déshonneur et au malheur. le prince, qui est sous son charme, veut lui éviter ce sort funeste et prend le risque de provoquer la jalousie de Rogojine. Pour sauver Nastassia, il est prêt à renoncer à un mariage avec Aglaé que Nastassia voit pourtant comme une épouse idéale pour le prince.

Certains thèmes abordés dans ce roman restent d'actualité et ont même fait l'objet de nombreuses récupérations politiques : la peine de mort, le rapport à l'argent, la pauvreté, la redistribution des richesses.

Plusieurs personnages sont tragiques et émouvants. Nastassia a le sort funeste réservé jadis aux filles pauvres, sans famille mais belles et désirables, donc vouées à la prostitution de luxe. Hippolyte est mourant à cause de la phtisie alors qu'il n'a que dix-huit ans et, dans un ultime cri de désespoir, développe ses idées sur les pauvres qui se plaignent tout le temps, jalousent la fortune des riches car ils la voudraient pour eux et en oublient qu'ils ont la vie devant eux et la liberté de réaliser leurs rêves. Il raconte comment il a aidé, grâce à ses relations, un médecin renvoyé, tombé dans la misère avec sa femme enceinte, à retrouver un poste. Quant au prince Muichkine, malgré l'épilepsie, maladie qui touche le cerveau – le Grand Mal, à l'époque, était effrayant et ne se soignait pas – il apparaît comme un intellectuel. Sensible, philosophe et passionné, il a un avis sur de nombreux sujets, dont la peine de mort, acte cruel et froid, après avoir assisté à une horrible exécution en Europe. En Suisse, il parlait aux enfants et les guidait, il les a convaincus de cesser de persécuter une jeune fille que tout le monde maltraitait parce qu'elle avait été séduite par un homme avant d'être abandonnée. Ses efforts presque désespérés pour sauver la veuve et l'orphelin, rendre le monde, et surtout l'être humain, meilleurs semblent souvent vains, dérisoires mais néanmoins nécessaires, indispensables.
L'Idiot est, pour moi, un roman sombre et troublant qui donne l'impression que la bonté est minuscule face au Grand Mal qui finira inéluctablement par l'anéantir. Elle aura cependant laissé une trace infime sur terre et dans la vie de ceux qui l'auront croisée puis qui continueront leur paisible existence, à l'instar d'Aglaé, comme si de rien n'était.
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