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Critique de Simonbothorel


Dès le début, Dostoïevski nous prévient, ce sont certes des carnets imaginaires, mais ils peuvent exister, mais surtout, ils doivent exister pour pouvoir dessiner le portrait très psychologique et très subjectif d'un homme qui appartient au passé dans une société qui ne le représente plus, car pour l'auteur, c'est une « génération en survie ». Mais de quoi parle cette oeuvre ? Elle parle d'un homme niché dans son sous-sol et décrit à travers un journal intime sa vision de la société russe et certains événements de sa vie. L'homme en question est un être se sentant humilié, bafoué et affaibli, et pour se défouler, il écrit un monologue d'une grande férocité et un réquisitoire passionnément blasphématoire.

Coupée en deux parties bien distinctes, la première prend les contours d'un essai philosophique qui dévoile la face paradoxale du personnage. Il se présente comme un homme méchant et malade, un pauvre fonctionnaire sans relief ne faisant que passer sur Terre. Il expulse toute sa colère et sa rage enfouit en lui, on sent pertinemment que c'est Dostoïevski qui parle même s'il ne veut pas l'admettre. le désespoir de son protagoniste est comme dû à une auto-condamnation, car il se sent dominé par sa lucidité et sa conscience qui devient une grande souffrance à son égard. Il ne peut pas être un homme d'action, car il pense et donc ne peut pas agir, contrairement à ces hommes d'action et de raison qui n'ont pas de conscience et donc peuvent être heureux. Pour lui, la société ne peut pas être raisonnable, car l'histoire du monde n'a jamais été raisonnable. Son regard désabusé sur le monde est celui d'un être défiant à l'encontre du progrès et du matérialisme de son époque. D'ailleurs, la dimension du sous-sol renvoie à une sorte de clandestinité souterraine, comme s'il regardait le monde en contre-plongée. le discours est souvent tiraillé, il remet en doute tout, même son propre discours qui le paralyse métaphysiquement et physiquement. Il est donc difficile de suivre la pensée instable de ce personnage pour qui nos émotions changent constamment. Cette pensée est traduite par un style effréné et quasi sans temps mort, car le personnage balance son discours avec essoufflement et de façon ininterrompue. On peut donc avoir de l'empathie à son encontre, du malaise, du dégoût, le trouver pathétique, grotesque, pitoyable, terrible, drôle, intelligent ou encore pleurnichard.

Tout ce doute permanent s'aligne avec l'auteur lui-même qui a vu ses convictions changer au cours des années, rendant le propos de l'oeuvre difficile à saisir. Il a vu l'influence de l'Occident sur la Russie, et même prophétiser comment le mouvement des idées occidentales a métamorphosé son pays. C'est surtout le douloureux désarroi qu'il a eu pendant le bagne qui lui fait crier autant sa rage, son sarcasme, son chagrin et sa dépression. Afin de rendre plus concrète et moins abstraite toute la pensée de la première partie, Dostoïevski raconte des événements passés ayant marqué le protagoniste dans une deuxième partie s'intitulant « Sur la neige mouillée ». Quatre événements invitent à mieux comprendre le comportement du narrateur. le premier est celui d'une humiliation qu'il a vécu à cause d'un officier et veut se venger en l'offensant à son tour. Ensuite, il veut mettre en place une autre vengeance auprès d'un groupe de vieux amis s'étant moqué de lui et l'ayant tourné en dérision. Enfin, le protagoniste parle de son histoire avec une prostituée dont il profite de la faiblesse pour l'aider et ensuite cracher sa haine contre elle ainsi qu'à son valet qu'il déteste. Ces différents rapports que l'homme entretient sont constamment conflictuels, il veut absolument garder sa fierté auprès de ces êtres qu'il méprise. Sauf que l'homme fait preuve d'une lâcheté incessante en n'arrivant pas à assumer ses propres convictions à l'encontre des personnes. Il se perd dans ses propres décisions, ses propres masques qu'il a créés à travers ses nombreuses lectures et ne passe jamais réellement à l'acte, car il pense à ce qu'il aurait mieux valu faire ou éviter pour être plus approprié à la situation. le personnage fait quelque chose, remet en doute tout ce qu'il est et fait pour finalement se renfermer encore plus sur lui-même ou alors explose toute sa colère contre quelqu'un ne l'ayant pas mérité. Toute cette accumulation de haine l'emmène vers un désespoir inévitable et vers sa réclusion totale et son renoncement de la société.

Pour conclure, « Les Carnets du sous-sol » est un livre pessimiste qui dévoile l'esprit d'un être emprisonné par une conscience trop perçante et déchirante. L'oeuvre va aussi vite que cette pensée inarrêtable, comme si l'importance de cracher toute sa vision du monde était urgente. Prisonnier de sa haine et de son mépris pour la société de son époque, le narrateur est un personnage complexe et schizophrène. L'intelligence de la structure est de scinder le roman en deux parties : la première plus discursive et théorique qui donne un aspect essai philosophique à l'oeuvre et une seconde qui met en action la pensée du personnage. La conclusion en devient plus amère, car il n'y a pas d'issue pour cet homme qui s'enfonce dans l'accablement, ses angoisses et une solitude vertigineuse. C'est un roman d'une grande franchise, volontairement outré et exagéré, et voulant prôner un droit à la liberté, mais la liberté existe-t-elle pour Dostoïevski ? C'est toute la question torturée du texte. Car si la conscience ne permet pas d'agir et qu'elle est la grande maladie de l'homme, alors il ne faudrait plus avoir de conscience pour se sentir libre. Mais si nous n'avons pas cette conscience, donc, c'est-à-dire pouvoir gouverner toute la vie d'un humain par des lois scientifiques et mathématiques, c'est la mort, car l'homme n'a plus à penser. Il n'y a alors que la conscience qui peut permettre à l'homme d'être libre, même s'il doit souffrir avec, pour que la vie continue.
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