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Critique de Zoeprendlaplume


Etrangers est un roman court. Sa narration est particulière, comme distante, extérieure. Un peu à l'image du métier de Farber, sorte de peintre photographe. Tout se passe comme si le lecteur se tenait derrière une caméra qui suivait des mouvements, mais sans capter leur profondeur ni leur sens.
Cette mise en retrait va de pair avec le récit, qui semble raconté a posteriori et centré sur Farber. Qui raconte ? On n'en sait rien, mais cela ajoute une distance supplémentaire avec les personnages, dont Farber, qui devient alors davantage sujet d'étude que personnage. Enfin, cet écart est accru par les nombreuses prolepses du(des) narrateur(s).
Cette narration détachée est très bien vue, parce qu'elle nous met dans la même position que Farber. Celle de l'observateur assez passif qui ne capte pas grand chose à ce qui l'entoure. La communication et la compréhension de l'autre sont deux enjeux majeurs du texte – ou plutôt, l'incommunicabilité et l'incompréhension.

Car Etrangers raconte précisément ça. le roman tourne autour de deux personnages principaux, Farber et Liraun. On ne les comprend pas vraiment, comme eux-mêmes ne se comprennent pas non plus. Bien souvent, l'incompréhension de Farber est répétée dans le texte, comme une litanie.
L'incapacité de se comprendre découle notamment d'une incapacité de se parler. Ainsi, le roman offre très peu de dialogues fructueux. Très peu de réels échanges, et surtout aucune écoute, d'autant que Liraun se mure souvent dans un silence pudique pour ne pas exprimer ses émotions.
Il n'est pas commun de lire un roman, un pur produit de langage, qui développe la rhétorique de son absence.

Il est intéressant de noter que la première traduction en français de ce roman avait pour titre L'étrangère… Comme si c'était juste Liraun, du fait de sa nature d'extraterrestre, qui était l'Autre. Mais ce titre me semble inapproprié, et d'ailleurs cela a été revu dans la traduction actuelle. Car on a bien deux individus ici qui sont Etrangers.
D'abord étrangers par rapport à leur peuple, qui ne les reconnait plus. Et puis étrangers par rapport à eux-mêmes. Se connaissent-ils eux-mêmes ?
Et puis étrangers à l'autre. Liraun et Farber ne sont qu'une simple somme de deux Autres qui ne fusionnent que physiquement. Ils n'échangent aucune de leurs pensées, ressentis, émotions. En fait, ils sont profondément seuls. Il en découle alors une seconde partie profondément amère.

Etrangers ne propose qu'un univers science-fictif assez peu développé. C'est assez frustrant, d'ailleurs, parce que plusieurs fois il est dit que les Cian ont des capacités technologiques et scientifiques assez incroyables. Mais visiblement, ils s'en fichent un peu, ce qui permet à l'auteur de ne pas s'étendre là-dessus, de toute façon ce n'est pas son propos.
Cependant, si la première partie est assez plan plan et reste vague sur pas mal de ces points, c'est un autre roman qui se donne à lire, passé l'acmé. On passe de l'histoire d'amour entre deux personnes différentes à quelque chose de beaucoup plus profond avec davantage de réflexions. J'ai par exemple beaucoup apprécié les échanges sur l'évolution des espèces dans le temps géologiques, l'adaptation des corps etc. le discours est un peu daté et à prendre avec des pincettes vu le personnage, toutefois ce n'est pas dénué d'intérêt et on perçoit davantage la question de la différence avec l'exploration des corps. Cela remet totalement en question tout ce qu'on pense être immuable et « naturel ».
Cela pourrait être décoratif dans le roman, mais l'auteur choisit un final assez terrifiant, presque horrifique, complètement lié à la nature du peuple Cian et à leurs mythes et culture qui en découlent. J'ai trouvé cela assez tiré par les cheveux, d'abord, mais c'est une belle façon de relier tous ces éléments qui semblent n'avoir rien en commun. Et pour le coup, Gardner Dozois offre un final à la fois attendu puisque sans surprise dès le début, mais aussi inattendu dans sa manière d'y parvenir. Avec une chute en point d'orgue, faisant d'Etrangers un conte universel doté d'une très grande force dramatique.
Lien : https://zoeprendlaplume.fr/g..
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