Le monde est une vaste auberge sous les étoiles où chacun nourrit autrui et se nourrit des paroles et des actes des autres. Si je fais le mal, je m’empoisonne tout autant que j’empoisonne mes semblables. Si je ne fais rien pour empêcher qu’un mal soit commis alors que j’en suis conscient, je nous empoisonne tous aussi. Pleurer sur l’époque est une chose. S’engager dans la mesure de ses moyens et de ses compétences en est une autre. En ces temps troubles où les conflits ethniques, les attentats, la montée des mouvements extrémistes nient le droit à la diversité humaine, j’aime croire que l’une des voies du partage entre les hommes consiste à promouvoir des actes à première vue simples, comme l’exploration du goût via la cuisine. Cela ne mettra pas fin aux guerres ni à la destruction programmée, à très long terme, de notre terre.
J’ai froid, tellement froid. C’est fini. Je vais mourir à vingt-sept ans, au milieu de cette nature que j’aime tant. Tout à coup, un bruit sourd déchire le silence. Au-dessus de moi, je distingue, comme un point fixe, un hélicoptère aux pales immenses. Et un homme suspendu au bout d’un filin. Je suis sauvé.
Des années plus tard, je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi, ce 9 août 1984, les autres passagers – quatre personnes, y compris le pilote et le directeur du Byblos – sont morts dans le crash de cet avion qui s’est fracassé contre une montagne, et pas moi. On ne guérit jamais totalement de ce genre de sidération. On apprend à faire avec.
Pour lui, la gastronomie peut contribuer à changer le monde. Partant de la définition originelle du mot donnée par le célèbre gastronome et auteur culinaire Jean Anthelme Brillat-Savarin dans La Physiologie du goût – « la gastronomie est la connaissance raisonnée de tout ce qui se rapporte à l’homme en tant qu’il se nourrit. Son but est de veiller à la conservation des hommes au moyen de la meilleure nourriture possible » –, Ducasse nous propose de placer la gastronomie au centre d’une réflexion et d’un combat philosophique et politique qui concernent au quotidien chacun d’entre nous.
La gastronomie est un acte politique.
« L’homme déguste le monde, sent le goût du monde, l’introduit dans son corps, en fait une partie de soi. »
Mikhaïl Bakhtine.
Un homme qui, probablement aussi parce qu’il a failli perdre la vie à l’âge où l’on sort à peine de l’enfance, goûte chaque jour le monde et ambitionne de le faire goûter aux autres avec un appétit inouï. Un homme aujourd’hui convaincu que la gastronomie n’est pas un plaisir élitiste, ni un divertissement futile. Manger dit-il est un acte citoyen.