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Critique de amandineglevarec


Paul a fui l'annonce, l'abandon de la femme qu'il aimait et qui l'aimait. Lisbonne. Sous ses pas claquent les pavés mais il n'entend rien, autour de lui s'agite le monde mais il ne voit rien, concentré sur lui-même, pris au piège d'une attente, d'un impossible retour, ce qu'il ne veut ou ne peut admettre, Paul continue de faire ce qu'il fait depuis des années : Paul attend Anna. Emprisonné dans une histoire où il ne peut régner que sur l'ombre, n'être qu'une ombre, patient, lui qui serre les dents pour ne pas laisser s'échapper la colère, lui qui ferme les yeux pour ne pas voir l'évidence, Paul s'enferme dans son fantasme, garde la force, le courage ou l'inconscience de consoler, en s'oubliant, accepte sans un mot les reculades, la culpabilité, les regrets – l'égoïsme – de la femme qu'il aime, de la femme mariée qu'il aime. Lisbonne mais alors, ici ou ailleurs, avant et maintenant, relégué, Paul. Mis entre parenthèses, incapable d'avancer, de s'écrire un futur, il tourne et retourne cette histoire en boucle, cherchant l'indice qui le rassurera, guettant le signe qui le revigorera, se souvenant des débuts comme d'une douceur, se rappelant leur folie, leur désir. Occupant son présent, son attente, en ressassant leur passé, Paul, même loin, reste près de son amour, le caresse, le chérit et s'y blesse.

Anna regarde autour d'elle son monde s'effondrer et perd pieds, prise en étau, tiraillée, rien ne lui apporte de réconfort, ni ce nouvel amour qui devrait la mettre en joie, ni celui qu'elle connaît depuis si longtemps, qui ne l'émeut plus, mais la détruit, de jour en jour, car elle aussi enfermée, ne voyant que l'impasse, tâtonnant dans le noir à la recherche d'une issue, se tournant vers Paul pour saisir une main, refusant de s'en emparer pourtant, Anna désemparée. Anna victime ou Anna coupable, de ne pas savoir choisir, de ne plus réussir à concilier ses anciens rêves et les nouveaux, se les avouer, se l'avouer – pourquoi trancher, pourquoi ne peut-elle pas se décider ? le temps passe et s'étiole, la vie comme une vague qui poussent les amants l'un vers l'autre puis les sépare aussi brutalement. le temps, s'il passe, ne peut se figer, et malgré les peurs d'Anna, malgré la douleur de Paul, adviendra ce qui adviendra.

Il faut du talent pour réécrire une histoire aussi vieille que l'amour est vieux, de l'audace pour se jouer des rebours, pour oser une construction qui fera commencer par une fin, par une mort, de la finesse pour décrire des sentiments, des personnages si humains qu'ils sont tout et son contraire, et une grande sensibilité pour donner voix, donner la voix aux uns et aux autres, changer de focale, s'ajuster, que chacun raconte sa vérité sans qu'elle ne soit ni mensonge ni trahison. Virginie Ducay possède justesse de forme et justesse de fond. le lecteur secoué par ce ressac, ces remous, sort des Sables blancs lessivé, ayant lui aussi perdu l'horizon des yeux, bousculé dans ses certitudes, chamboulé par le voyage qu'il vient de faire. Est-ce si simple de se dire que la vie se plie aux principes, qu'elle doit accepter la morale, que la raison devrait l'emporter sur la passion ? À écouter Paul, à écouter Anna, se dit-encore que tout est question de choix, qu'il faut savoir, se montrer raisonnable ? Est-ce possible de leur donner raison à tous deux, à tous trois, d'accepter le vertige des réalités multiples ? Grâce à Virginie Ducay, et à son premier roman, oui, il le faut, et accepter aussi que la fiction parfois donne les clefs de la réalité. Une vraie réussite, littérairement et émotionnellement parlant.

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