J’adorais ce travail. Le frisson de couvrir une histoire, la jubilation quand un indice pointait le bout de son nez et l’incomparable satisfaction de voir une ordure arrêtée en partie grâce à mon acharnement. C’était la seule chose pour laquelle j’avais vraiment été bonne dans ma vie et j’en avais savouré chaque seconde.
Elle avait toujours l’air un peu folle et fascinante et je me sentais un brin terne à côté d’elle, avec mes cheveux mi-longs d’une banalité presque affligeante, mon jean et mon sweat sans forme.
Elle n’en revient pas d’avoir été bête au point de croire que c’était une personne faite de chair et d’os qui se tenait là dans le noir. C’est certainement une statue, une sorte de projet artistique ou simplement une farce.
Sûrement un coup des enfants du lycée voisin, pense Irina en riant, agacée d’avoir prolongé son trajet pour rien et de s’être forcée à traverser trois fois cette route dangereuse.
Depuis l’autre côté de la route, difficile de dire s’il s’agit d’un homme ou d’une femme, ou même simplement d’un être humain. Elle se rapproche, remarquant à peine que des flocons s’infiltrent dans son pantalon. Son genou arthritique s’occupera de la punir plus tard.
Après tout, tout le monde souffre cet hiver. À peine mi-janvier et les températures sont tellement rudes qu’elle ne se souvient même plus de la dernière fois où il a fait plus de zéro. Mais c’est bon pour ses vieux poumons d’avoir un petit défi, se dit-elle d’un air grave en enfonçant ses pieds dans la neige molle et profonde.