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Critique de gabb


C'est nouveau pour personne : la guerre c'est moche.
S'il en fût une plus moche encore que les autres, une qui culmina dans l'abomination, peut-être est-ce celle qu'on nomma la Grande Guerre.
Grande dans l'horreur, j'entends.

Pour s'en convaincre, il suffit par exemple de se rendre au numéro 74 du boulevard Port-Royal (Paris 5ème), à l'Hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce, de grimper au dernier étage et d'ouvrir doucement la porte de la chambre des officiers.
Là se trouvent quelques lits de fer blanc, et dans l'un d'eux Adrien. Pour le reconnaître, le plus simple est encore de se référer aux constations médicales du chef de service : "Destruction maxillo-faciale. Béance totale des parties situées du sommet du menton jusqu'à la moitié du nez, avec destruction
totale du maxilaire supérieur et du palais, décloisonnant l'espace entre la bouche et les sinus. Destruction partielle de la langue. Apparition des organes de l'arrière-gorge qui ne sont plus protégés. Infection généralisée des tissus meurtis par apparition de pus."
Moche, comme je vous disais.

Et pourtant Adrien fait partie des chanceux,  rapatriés à Paris aux premiers jours du conflit. Défiguré par un éclat d'obus à la seconde où il monta au front, il n'a même jamais vu un Boche. Sa guerre, il l'a vécu au Val-de-Grâce, affrontant nuit et jour la douleur, la honte de n'avoir pas combattu et celle que lui inspire chaque matin le reflet massacré du miroir, sans parler du désespoir d'avoir à subir sans cesse des interventions chirurgicales aux résultats peu probants...

Heureusement Adrien n'est pas seul : une femme occupe ses pensées, contribuant sans le savoir à sa reconstrution, et deux autres
gueules cassées, dans des lits voisins, partagent son calvaire. C'est pour nous l'occasion d'assister à la naissance d'une
camaraderie forte et originale, et pour Marc Dugain de nous livrer un texte moins sombre qu'il n'y parait, où parfois l'humour affleure sous les cicatrices. Les trois occupants de
la fameuse chambre des officiers, qui remettent entièrement leur triste sort entre les mains des chirurgiens, font en effet preuve d'un détachement, d'un recul sur leur misère et d'un sens de l'autodérision qui forcent le respect.

À la barabarie sans nom de la guerre qui fait rage au loin, l'auteur oppose donc ici avec une grande justesse l'indestructible humanité de ces trois estropiés diablement attachants. Sa plume, qui pourtant ne nous cache rien des supplices endurés par Adrien et nous décrit en détails l'ampleur des dégâts sur sa face en charpie, n'est paradoxalament pas dénuée de pudeur et de sensibilité. Elle rend ainsi parfaitement justice à tous ces héros défigurés, anonymisés (au sens propre !) par la perte de leur visage, que Marc Dugain, nous invite à ne jamais oublier. Il signe là un premier roman court et intense, facile d'accès mais fort en émotions, poignant mais jamais larmoyant.
Remarquable !

* * *
M'est avis que toutes les occasions sont bonnes pour rendre hommage à l'ami Georges, alors je conclus pour une fois en musique :
https://m.youtube.com/watch?v=l2F5qaHzkj0
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