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Critique de Pascalmasi


Neuf cents pages, de belles illustrations dans cette édition grand format parue chez Omnibus et plus de deux kilogrammes de papier dans les mains. Parvenu à la dernière page, sentiment mêlé de satisfaction, d'un peu de tristesse et de soulagement ! le comte de Monte-Cristo prend le large et sans doute pour longtemps.

Alors avant que son élégante goélette ne disparaisse à l'horizon de ma mémoire, que dire de ce roman ?

Le comte de Monte-Cristo est une fresque romancée à partir de faits plus ou moins réels de la première moitié du XIXème siècle. Située en France, en Italie et dans une petite île de Méditerranée, l'action se déroule entre la fin de l'épopée napoléonienne et le règne de Louis-Philippe. Elle est donc contemporaine d'Alexandre Dumas.

Le récit est construit comme chacun sait sur l'histoire d'un jeune homme totalement innocent qui sera victime d'une machination terrible et qui lui fera passer pas moins de 14 années dans un cachot sordide. Heureux bénéficiaire de circonstances à peine croyables, il pourra revenir dans la société d'où il a été scandaleusement éliminé et, devenu miraculeusement richissime, organiser une vengeance implacable contre ceux qui ont ourdi cette terrible injustice.

Alexandre Dumas va demander au lecteur de le suivre le long des nombreux méandres d'une épopée à rebondissements qui va permettre à l'infortuné Edmond Dantès, devenu comte de Monte-Cristo, de retrouver ses bourreaux et de laver son honneur. Ainsi, lorsque tous les éléments de ce plan seront enfin en place, le héros passera à l'acte et les têtes tomberont sans pitié. du grand art littéraire, des pièges dignes des meilleurs polars et bien sûr des raffinements à foison. N'est pas Alexandre Dumas qui veut.

Voilà pour le décor.

Mais sur le fond, de quoi s'agit-il ?

Un peu à la manière des Misérables, l'auteur utilise le prétexte de cette histoire pour donner à voir toute une société : ses valeurs, ses travers, ses préoccupations. Des valeurs qui sont aussi les siennes, naturellement : Tout le monde parle d'argent chez Dumas. Encore et toujours d'argent. Les plus démunis comme les richissimes, les journalistes comme les repris de justice, les « fils-de » comme les indigents, les magistrats comme les banquiers, les mères, les épouses, les beaux-parents. Tous en souhaitent toujours d'avantage. A l'instar d'Alexandre Dumas lui-même qui fera fortune avec ce roman feuilleton, se fera construire un château à Marly près de Saint Germain en Laye qu'il appellera non sans malice « Monte-Cristo » et qui dilapidant aussitôt toute sa fortune, fera faillite en moins de deux ans. C'est donc autant sa vie et ses propres turpitudes qu'il décrit que celles de la société bourgeoise qui se met en place après le Premier empire. Toute création n'est-elle pas irrémédiablement autoportrait ?

Ensuite, bien-sûr, il s'agit d'une étude de caractères, à l'instar de ce que seront le chef-d'oeuvre de Victor Hugo dont je parlais et les grands romans De Balzac. Toutes les strates de la société y sont présentes, tous les archétypes et toutes les complexités de l'âme humaine. Dantès c'est Jean Valjean, Mercédès c'est Fantine, Valentine c'est Cosette, le juge de Villefort c'est Javert… les correspondances sont incroyablement nombreuses. Hugo aurait-il copié Dumas ?

Le tableau est-il réussi, emporte-t-il le lecteur ? D'une certaine manière, oui. Comme tout roman épique, chacun veut en connaître la suite. L'intrigue fonctionne plutôt bien même si de nombreuses longueurs viennent ralentir l'ardeur du bibliophile ! Mais, à la réflexion, on se demande si la fiction de 1844 est encore le chef d'oeuvre qu'il a longtemps été en 2022 ?

Sur le plan littéraire, Alexandre Dumas cède facilement à la tentation de la facilité.

Tous ses personnages répondent à des archétypes simplistes.
Edmond Dantès – le personnage central - devient au fil du temps une sorte de surhomme à lui tout seul. Il guérit les maladies, « ressuscite » la pauvre Valentine, sauve la veuve Mercédès et libère Haydée, l'esclave orpheline, il commande aux hommes avec une justesse telle que tous consentent sans rechigner à une obéissance aveugle ; il comprend tout et sait tout... Il connaît le fonctionnement du télégraphe optique, la haute finance et la bourse, la chimie des poisons et des contre-poisons, la navigation, le milieu des malfrats de Rome, les codes de la vie mondaine de Paris, parle le français, l'italien, le grec et l'arabe sans accent et sans jamais avoir fait d'études… Superman n'a qu'à bien se tenir.

Evidemment, en 1844, le caractère très stéréotypé des personnages de romans feuilletons passionnait les foules. le succès fut énorme. Une certaine production littéraire utilise encore aujourd'hui ces mêmes ressorts pour vendre du papier.

Pourtant, presque deux cents ans plus tard, ces stéréotypes affaiblissent, l'intérêt des personnages et de la lecture elle-même. Chacun sait que tout homme recèle sa part d'ombre et que les génies parfaits n'existent que dans les superproductions hollywoodiennes. C'est dommage.

Cela ne va d'ailleurs pas échapper à l'auteur. Sentant sans doute le danger, Alexandre Dumas, par un contre-pied intéressant, va donner à la fin du roman une tournure inattendue.

Ayant conduit d'une main de maître sa vengeance légitime, on l'a dit, Edmond Dantès va finalement comprendre que trop de gens sont morts, que trop de malheurs se sont abattus sur des victimes que l'on qualifierait aujourd'hui de « collatérales » et qui, au fond, n'y sont pas pour grand-chose dans le drame dont il fut victime. Monte-Cristo va se montrer alors sensible au doute qui naît en lui et opérer un virage qui va modifier le cours des événements. Contre toute attente, l'incroyable épopée se termine donc sur une note quelque peu nuancée : la vengeance légitime fait ainsi place au pardon.

Hugo, qui avait peut-être lu cette saga feuilletonnée d'Alexandre Dumas, rependra cette même thématique lors de la fin sublime de ses Misérables. Jean Valjean, au seuil de la mort, se demandera s'il a « assez » fait le bien au regard du bien dont il a lui-même reçu de l'évêque de Digne. Monte-Cristo fait de même.

C'est par là que l'on pourrait conclure : Alexandre Dumas nous embarque dans une formidable fiction romanesque dont le dénouement semble « accidentellement philosophique ». Hugo, dans le tourbillon de son immense génie, nous enserre dès les premières pages dans les plus grandes et plus belles interrogations métaphysiques des hommes et demande : Pouvons-nous devenir meilleurs ? le pardon gratuit peut-il engendrer la rédemption ? Dumas soulève ces mêmes questions mais à la toute fin seulement de son oeuvre.

Sans doute, la littérature du XIXème pouvait-elle légitimement faire une place égale aux deux démarches. Sans doute aussi les deux siècles qui ont passé depuis ont-ils changé notre regard.

Quoiqu'il en soit, on ne regrettera pas que Dumas complète Hugo qui lui-même complétera Dumas.
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