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Critique de deidamie


« Bonjour et bienvenue dans cette probablement unique édition de Questions pour un Babélion ! Aujourd'hui, littérature classique. Attention, il y a un piège. Un petit indice pour ceux qui jouent de chez eux : « Vous avez cliqué sur le titre. » Vous êtes prêts ? C'est parti :

Tel l'hiver de Game of Thrones je viens, mais personne ne me voit venir* et je frappe sans pitié. Je suis isolé de longues années, meurtri par la mort de mon père…

-Arya Stark !

-Non. Arya Stark, c'est non.

Meurtri par la mort de mon père et séparé de la femme que j'aimais, j'ai été lâchement trahi par des proches et un magistrat, puis jeté dans la prison du château d'If. Je parviens à m'évader et me sers de ma nouvelle fortune pour machiner une Terrible Vengeance, je suis, je suis, je suis ?

-Le… le comte de Monte-Cristo !

-Et c'est gagnéééééé ! Bravo !

-C'était pas facile, mais j'ai reconnu à partir de « Terrible Vengeance ». Je pensais que vous parleriez des mechas** et des vaisseaux spatiaux de la série animée.

-Les mé… quoi ?

-Bah les robots géants, quoi ! On s'y introduit à l'aide d'ingénieuses et spectaculaires machineries et on les pilote, comme dans Goldorak.

-Bon… on va reprendre un ou deux trucs, je crois, espèce de génération pourrie par la télévision.

Or donc, aujourd'hui nous allons parler du Comte de Monte-Cristo, un célèbre roman d'Alexandre Dumas père, je vous fais grâce d'un deuxième résumé. Mettons tout de suite les choses au clair : ce roman ne contient aucun robot géant. Point de voyages dans l'espace non plus.

-Ah bon ?

-Non.

-C'est nul, alors !

-Absolument pas.

-En plus, c'est publié au XIXe siècle ! A tous les coups c'est écrit dans un français incompréhensible !

-Non, pas du tout. Nous trouvons de belles tournures classiques, mais le style et la langue restent parfaitement accessibles : l'émotion passe facilement. le récit de l'emprisonnement et de l'évasion est splendide, la souffrance d'Edmond est littéralement palpable. J'ai admiré les ressources de l'abbé Faria, l'ingénieux érudit, il y a là comme un récit de Robinson, qui exploite ce qu'il a sous la main pour construire et aménager ce dont il a besoin.

Cependant, ce que l'histoire contient de plus spectaculaire se situe plus tard dans l'histoire, lorsque le comte de Monte-Cristo a terminé de construire sa machine infernale et frappe ses ennemis ou leurs proches, et sa stratégie répond à une autre machine, celle qui l'a plongé en enfer. Plein de choses sont fascinantes dans ce texte, et l'une d'entre elles se trouve dans la précision d'une tragédie grecque.

-Le comte de Monte-Cristo, une tragédie grecque ? Et ben, on aura tout lu.

-Mais non, « tragédie » pas au sens de tragédie, quoi. Evidemment qu'il n'est pas un noble prince détruit par les intentions divines.

-Et dans quel sens, alors ?

-Dans celui-ci : peux-tu échapper à ton destin quand tu es le héros d'une tragédie ? Non, tu ne peux pas. Dantès, quand il se trouve chez Villefort, ne le sait pas encore, mais il est déjà mort : le jeu de circonstances est tel que le jeune homme ne peut se sauver. Broyé par la machine impitoyable du destin et de l'ambition du jeune procureur, te dis-je.

Et lorsque Dantès va comprendre qu'il est devenu la victime d'une suite de circonstances malheureuses et de perversions humaines, que va-t-il faire ?
Il va apprendre à dominer, à provoquer ces circonstances en sa faveur, à jouer avec l'histoire et les caractères pour obtenir ce qu'il veut, à plier son corps à la force de sa volonté pour demeurer parfaitement (ou presque) impassible en n'importe quelle situation.

Et c'est là, je crois, que se trouve l'une des plus grandes forces de ce texte : il raconte l'histoire d'un homme qui dépasse son humanité pour devenir un « presque Dieu ». Ce n'est plus lui, la victime de la machine à broyer les existences. Il s'occupe désormais de la construire et de la faire fonctionner en se donnant l'accomplissement de la volonté divine pour confortable justification. Mais est-ce justifiable ?

Et à ce propos, sur la légitimité du comte, le roman prend hélas une direction qui me déplaît sur la fin. Mais peut-être que le doute prouve qu'il reste une étincelle d'humanité en lui ? Je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, les scrupules sur les desseins de Dieu m'ont laissée froide, contrairement à la condition de Dantès qui m'a rendue enthousiaste.

Je regrette également que les dialogues soient excessivement dumasiens. Ils alourdissent et ralentissent le texte, on sent la paie au feuillet…

-Quoi ?

-Hein ?

-J'ai mal entendu, tu disais quoi ?

-Je disais que je trouvais les dialogues souvent relous.

-Comment ça, relous ?

-Ben, relous comme lourdingues ! Les personnages répètent les choses, font semblant de poser des questions sur des évidences…

-Vraiment, ils font ça ?

-Assurément.

-Mais quel intérêt pour l'histoire ?

-Pour l'histoire ? Aucun.

-Et pour le lecteur ?

-Non plus.

-Mais quelle raison alors ?

-Je soupçonne la raison des sousous dans la popoche.

-Ciel ! La cupidité et/ou le besoin désespéré d'argent serait-il cause de faute de goût littéraire ?

-Ce ne serait pas la première fois, si ?

-Non, en effet. Mais dis-moi, tu es en train de faire la même chose, non ?

-Si.

-Et tu n'as pas peur d'ennuyer ton lectorat ?

-Si, c'est pourquoi nous arrêtons maintenant.

J'ai regretté également le dénouement, trop long, et la fin de certains personnages comme Haydée et Mercedès : leurs conclusions ne me semblent plus du tout au goût du jour.

Ces menus reproches demeurent cependant sans grande conséquence sur un texte extraordinairement beau. »

*Allusion à la BO de Gankutsuou, l'adaptation animée japonaise, « You won't see me coming… ‘til I strike ».

**Mechas : prononcez « méka ».
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