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Critique de Coulardeau


Le Laos est un pays entièrement enclavé avec aucun accès direct à quelque océan que ce soit, sinon le Pacifique par le Mékong. Mais le Mékong n'est pas un fleuve facile et le Laos a besoin de voies de sortie importantes et sécures.

Le premier chantier a été réalisé avec la collaboration des Français d'EDF et des Chinois. Ce fut la construction du barrage hydroélectrique sur le Mékong. le premier et probablement le second ont été construits sous la surveillance de WWF représenté à Vientiane par R. Ève jusqu'à un peu avant la pandémie du COVID-19, quand il a été muté çà Madagascar.

La question de l'utilisation du Mékong pour produire de l'électricité propre est un débat constant car cela oblige à calculer les débits et les productions en fonction du climat et des saisons. le problème le plus difficile est qu'un barrage de retenue nécessairement retient de l'eau du fleuve pendant que le lac de retenue se remplit. Ensuite l'effet de ces barrages est extrêmement régulateur.

Ces barrages sont sensés produire l'électricité nécessaire pour le second projet qui est la réalisation d'un réseau ferré complet du Sud-Est Asiatique dont le Laos serait littéralement le centre, le pays de connexion. Il est depuis le tout début de décembre 2021 en voie de réalisation par l'ouverture de la liaison Vientiane, la Chine qui ainsi connecte le Laos avec le réseau ferré chinois qui ouvre la connexion sur la Belt and Road Initiative ferrée qui relie l'Asie, et en premier lieu la Chine avec l'entier de l'Europe.

D'ici quelques années le réseau ferré du Sud-Est Asiatique devrait devenir une réalité. L'étape suivante est la connexion de Vientiane avec la capitale de la Thaïlande. Ce développement entraine des critiques et même plus que des critiques des forces occidentales qu'elles soient politiques, économiques, écologiques, y compris des “volontaires” prétendument non engagés. Il est sûr que mille kilomètres de voies ferrées inaugurées en ce début décembre 2021 c'est incomparable au quatre ou cinq kilomètres de voies ferrées que les colonisateurs français ont laissés derrière eux au Laos.

Le projet suivant et qui remonte à une quinzaine d'année est la revitalisation des structures monastiques bouddhistes au niveau économique pour les rendre “sustainable”, capable de financer et produire leur propre développement, ce qui un peu plus que simplement durable. Ce projet est mené par l'Unesco et correspond à un retour du Bouddhisme Theravada, petit véhicule, qui pose que le Bouddhisme, ses institutions monastiques et ses moines sont au service de la société en ce qui concerne l'éducation, la santé, le conseil dans le domaine agricole ou commercial. Cette rénovation d'une tradition millénaire passe par la revitalisation de pratiques artisanales capables de produire des biens commercialement rentables et correspondant à certains besoins.

Cela pose alors un besoin nouveau que le chemin de fer va partiellement satisfaire : le développement d'un tourisme culturel et spirituel. Les Bouddhistes reviennent progressivement à certaines traditions fondamentales comme la méditation qui est de l'ordre de l'autohypnose, ce qui la rend très efficace dans le domaine de la relaxation, der la reconstruction mentale de personnes plus ou moins burnt-out par la vie moderne, mais aussi comme un moyen anesthésique non chimique utilisé ici et là dans le monde par des médecins et chirurgiens asiatiques.

On comprend combien l'Ouest, et surtout les USA et en partie l'Europe, peuvent être hostiles à ce développement. Il n'est possible que par la collaboration, coopération et coordination des actions des états et des pays du Sud-Est Asiatique pour l'essentiel menés par la Chine, au niveau économique, technique et social.

Quiconque ne prend pas en compte ces dimensions pour en rester à une approche soit antichinoise (position absurde), soit ne regardant que la surface écologique, par exemple le sort des éléphants (position de cécité volontaire), soit même en ne comprenant pas que le marxisme chinois est en phase très profonde avec les philosophies asiatiques et bouddhistes. Dans ce dernier on trouve des gens qui ne voient que le terme “communiste” et qui réduisent toute la réalité de cette entité géo-démographique à une tentative politique d'imposer un communisme toujours vu à l'ouest comme la dictature du prolétariat, même quand il n'y a pas de prolétariat.

Ainsi dans la BD une remarque est faite sur un instituteur de village dans les zones plus ou moins montagneuses, isolées de toute façon, qui est en uniforme apparemment militaire. On dirait qu'à ce moment-là quelqu'un a oublié comment l'éducation en France a été cruciale pour le développement et comment du temps de Jules Ferry un auteur comme le très chrétien Charles Péguy a défini l'instituteur comme le hussard noir de la république. Et les photos d'instituteurs en ce temps-là arboraient les costumes noirs ou gris sombre, et je me souviens encore dans les années 1950 des instituteurs qui portaient un tablier gris ombre, un cheveu plus clair que le noir. J'ai personnellement porté une blouse bleue jusque dans les années 1990 et dans l'enseignement industriel la blouse gris sombre était de rigueur dans les ateliers pour les professeurs comme pour les élèves, et doivent l'être toujours pour des raisons évidentes de protection contre la graisse, l'huile et simplement la crasse des machines. Une sorte d'uniforme en quelque sorte.

Le plus étonnant est comment le Bouddhisme est totalement ignoré, le Bouddhisme Theravada comme j'ai dit qui est un Bouddhisme de service de la communauté, à la différence du Bouddhisme tibétain ancien qui a quitté le Tibet pour l'exil avec son Dalaï Lama qui pose l'ordre religieux comme une élite religieuse mais aussi une élite très féodale, malgré l'évolution au Tibet même où ce quasi-servage des hommes et la totale dépendance inféodée des femmes ont été éliminées.

C'est un peu la raison pour laquelle je suis un peu désemparé devant cette BD et le spectacle musical. La BD a des dimensions picturales et même intellectuelles profondes d'humanité pour les éléphants et d'existentialisme expérientiel pour les Européens et autres militants écologiques de cette Longue Marche qui est bien sûr une allusion à celle de Mao Zedong. Mais la Longue Marche de Mao Zedong a été la marche qui a permis aux communistes chinois d'échapper à l'extermination pour pouvoir revenir en force contre les Japonais et pour la liberté de la Chine, acquise en 1949. La métaphore est puissante, mais les éléphants asiatiques sont des animaux nocturnes, alors que les éléphants africains sont des animaux diurnes. La Longue Marche alors devient une terrible cruauté de faire fonctionner ces éléphants nocturnes quasi aveugles ou très malvoyants dans la lumière du jour alors que normalement ils doivent se reposer pendant le jour.

J'ai vu cela au Sri Lanka, tout comme les défections des éléphants dans les chemins de la jungle le jour, prouvant qu'ils étaient passé là dans la nuit. J'ai aussi vu comment une jeune touriste américaine est morte piétinée car elle a désobéi aux ordres de rester dans la jeep, qui de toute façon était une absurdité puisque ladite jeep perturbait le repos desdits éléphants, et elle est descendue pour se rapprocher des éléphants au repos pour prendre une photo. Je parle ici d'éléphants sauvages absolument protégés au Sri Lanka.

J'ai lu dans la presse chinoise justement ce vendredi matin 10 décembre que la nouvelle voie ferrée Kunming-Vientiane pose un problème de cohabitation avec les éléphants en Chine, et donc j'imagine au Laos, sans que l'article de presse ne donnent de détails sur les solutions développées. Mais nous avons tous suivis le périple justement dans cette région sud-ouest de la Chine l'été dernier d'une bande d'éléphants sauvage du sud vers le nord et puis leur retour : un périple qui a duré plus de deux mois avec une protection de la part des autorités chinoises qui simplement accompagnaient les éléphants sans savoir du tout ni pourquoi ils avaient pris la route ni où ils allaient, et encore moins pourquoi ils sont revenus à leur point de départ.

J'aurais aimé en savoir plus de comment on peut faire travailler de jour des animaux nocturnes. Cela me semble inhumain pour du bucheronnage, mais tout aussi pour un simple périple qui n'est pas comme il fut dit une période de vacances. L'homme est un animal diurne aussi et quand on lui supprime la nuit et le repos qui va avec on a des surprises qui ne sont certainement pas agréables. Tout le monde sait cela, et c'est pourquoi on est passé des vieilles trois-huit aux modernes quatre-six pour faire en sorte que les équipes de nuit aient vraiment une rotation qui concerne une nuit sur quatre au lieu d'une nuit sur trois. Ce qui est bon pour les hommes devraient l'être pour les animaux, et je répète quasiment malvoyants dans la lumière du jour.

Mais la BD n'est qu'un tiers de l'ensemble.

Le deuxième tiers c'est le récit qui accompagne la projection des pages de la BD pendant le spectacle. Je viens d'écouter l'enregistrement de Bandcamp. C'est nettement plus clean que ce que j'ai entendu à Vertolaye car les balances de niveaux sonores n'étaient pas parfaites, et certains morceaux de texte étaient voracement cannibalisés par la musique. Je pense aussi que la mise en voix et en espace de ces voix était plutôt improvisée, et probablement trop écrasée dans l'espace étroit de la salle de la Gare dite de l'Utopie. Trop petite pour cette performance. L'enregistrement n'a pas ce défaut et y gagne donc de la clarté et même de l'expressivité, bien que l'on puisse faire plus vivant, plus dynamique, moins lu.

Le troisième tiers est la musique. Là on sait qu'on a des musiciens dont le professionnalisme est tout à fait correct. Ils jouent avec des instruments du Laos de types divers, flûte à bec (mais sans bec), système de tuyau de bambou avec des anches qui donnent des sons qui ressemblent à des sons d'orgue, un xylophone souple comme une passerelle de cordes sur une vallée mais au-dessus justement d'une boîte de résonnance qui joue à la vallée, un gong asiatique comme j'en ai vu et entendu quelques uns ici et là, et quelques autres “bricolages” qui produisent des sons bizarre comme les barrissements d'éléphants.

La rythmique est suprême et non pas entrainante, plutôt mesmérisante. C'est cette rythmique qui hypnotise qui est le plus oriental du spectacle car on se laisse aller à, glisser dans cette rythmique pour partir, pour danser et les deux guitares électriques ne sont qu'ne petite part de cette fascination. C'est alors que la danse serait nécessaire, mais on se heurterait tout de suite à la danse en Asie qui n'est pas la danse occidentale. j'ai envie de dire, heureusement. le danseur se laisse aller, glisser dans la rythmique et en arrive rapidement à “danser” de tout son corps, de chaque appendice de ce corps séparément et cependant de façon coordonnée en passant d'un rythme relativement lent superficiel, ce que nous appelons parfois la mesure en occident, à la chaine rythmique et toutes ses stations, tous ses maillons, toutes ses notes, tous ses tempi. Cela mène directement à une danse en transe mais cela peut aussi mener à une danse par les mains, les bras, les jambes ou les pieds, toutes les articulations en mouvements maximum, jusqu'à chaque phalange des doigts. Ajoutez des voiles et des manches, et bien d'autre attributs textiles amples et légers, et fortement colorés de couleurs vives, et vous pouvez débouché sur la danse de Shen Yun, tout autant gymnastique qu'artistique, rythmique que mélodique, sonore que visuelle.

Bien sûr nous n'avions pas atteint ce niveau car la salle ne s'y prêtait pas, ni le public d'ailleurs, mais c'était contenu dans cette musique. Gardons en mémoire que la musique n'est pas une décoration gratuite de l'espace sonore. la musique est un appel vital à la communion entre les rythmiques corporelles, mentales, cérébrales et même hormonales d'une part, et les rythmiques géologiques, cosmiques et sidérales de l'univers dans lequel nous ne sommes d'une grain de poussière, même pas de sable, d'autre part.

Le tout était donc une merveilleuse visite de l'au-delà de l'occident, cet au-delà que l'occident s'obstine à vouloir voir comme un concurrent, bien qu'on comprenne qu'il puisse penser cela quand on regarde les déculottées que cet occident a reçues en Corée, en Indochine, au Vietnam, en Iran, et tout récemment en Afghanistan. Et je ne dirai rien sur la tripotée de Suez et la fessée du Maghreb, particulièrement de l'Algérie. Il est temps, grand temps que tous les visages de couleur enlèvent et rejettent leurs masques blancs, comme dirait Frantz Fanon.

La suite j'imagine quand l'Occident condescendra à ne plus cracher dans la soupe qu'il importe tous les jours d'Asie et d'ailleurs. C'était beau comme un rêve mais la réalité est bien plus belle encore car elle n'est justement pas un rêve.

Dr. Jacques COULARDEAU

Lien : https://jacquescoulardeau.me..
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