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Critique de berni_29


Ce matin, je marchais en forêt quand j'entendis brusquement ce bruit caractéristique qu'on croit surgir d'un monde imaginaire : les trépidations du bec d'un pic vert contre un tronc d'arbre. C'est un bruit magique. On croirait entendre celui des baguettes d'un batteur de jazz donnant le tempo...
J'ai essayé de m'approcher d'un peu plus près, mais impossible de repérer l'oiseau qui me semblait cependant tout proche. Un autre pic vert au loin donnait l'impression de lui répondre par les mêmes trépidations.
Je venais d'achever quelques heures plus tôt la lecture de cet étrange et poétique roman, La langue du pic vert. J'en étais encore sous le charme. Comment alors ne pas penser à cette phrase qui traverse le récit : « le pic vert enroule sa langue autour de son cerveau pour le protéger contre les trépidations quand il fore les arbres » ? Je me suis encore approché parmi les buissons et les ramures pour tenter d'observer le phénomène, mais une horde de vététistes agités est entrée alors dans le paysage, renvoyant le dialogue des volatiles dans l'envers du décor.
Au commencement il y a donc cette phrase surprenante saisie par Sylvain Breuil, un jeune homme qui avoue qu'il attendait cette révélation depuis dix-huit ans. Il en fait la découverte lors de la visite d'une Maison de la Ligue pour la protection des oiseaux...
Je me suis alors rappelé avec une délicieuse nostalgie le souvenir de mes vacances de l'été dernier dans les Vosges et le lieu de ces vacances, c'était là aussi un refuge de la Ligue pour la Protection des Oiseaux tenu par une dame passionnée par les oiseaux. Elle recensait notamment une variété de pic, on les entendait dans la forêt toute proche, comme ce matin, comme dans les pages de ce livre qui se transforme subitement en véritable carrousel...
La langue du pic vert est une histoire intrigante, envoûtante, sensible... C'est un livre au voisinage du ciel, à la lisière du fantastique et cela ne nous surprend guère comme les trépidations d'un pic vert savent nous plonger dans la beauté d'un monde irréel.
Le personnage principal, Sylvain Breuil, porte le fardeau d'une famille éprouvée. Sa mère est morte en lui donnant naissance, tandis que son père bascule tout doucement dans les affres de la maladie d'Alzheimer... de cela, en est-il marqué ? Sans doute que oui, mais Sylvain Breuil est un personnage secret, mutique, taiseux... C'est sans doute ce mystère qui séduit cette jeune fille Françoise qui s'éprend de lui durant les vacances d'été en Auvergne chez son oncle et sa tante...
Sylvain Breuil va à la rencontre d'un pic vert comme on avance à tâtons dans le dédale d'un souterrain d'où surgit au loin un rai de lumière.
Sa fascination vers le pic vert, cette recherche de liberté, devient pour lui comme un besoin vital de légèreté, de survie, de résilience, de rêve et en même temps d'enfermement.
Tout évoque désormais pour lui le monde des pics verts, même lorsque l'amour entre dans sa vie, avec un premier baiser de Françoise qui se pose comme l'effleurement d'une aile d'oiseau.
Même le salon de l'appartement familial en H.L.M. devient le théâtre d'une chose insensée, irréelle, des pics verts qui traversent le soir la pièce entre 22 heures et 23 heures, ouvrant les murs et les reformant aussitôt, c'est un rituel, un ballet, un mouvement aérien et éthéré, un rendez-vous qui lui donne désormais un nouveau sens à sa vie.
Sylvain Breuil bientôt ne supporte plus ce qui peut faire obstacle à cette magie qui entre dans son univers...
C'est un basculement à partir d'un rêve qui va se poursuivre vers la folie...
Il y a la construction d'un enfermement à partir d'une passion qui entre dans les premières pages de ce roman avec légèreté, puis cette passion devient obsessionnelle et qui finit par nous faire mal.
J'ai beaucoup aimé ici l'écriture poétique de Chantal Dupuy-Dunier, poétesse dont le style m'avait déjà enchanté il y a quelques semaines lors de la lecture d'un de ses recueils de poèmes, Mille grues de papier. Et j'ai été emporté aussi par la construction de ce récit qui m'a tenu en haleine jusqu'aux dernières pages où nous suivons Sylvain Breuil dans sa quête éperdue d'immortalité...
C'est juste beau et terriblement émouvant.
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