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Critique de Dessert


Sylvie Durbec - Ça, qui me poursuit. Couverture François Ridard. Préface Cécile Guivarch. 80 pages. 14 x 20 cm. Editions Les Carnets du Dessert de Lune. Collection Pleine Lune. Octobre 2020. ISBN 9782390550006. 13 €

Sylvie DURBEC, ça, qui me poursuit, Les Carnets du Dessert de Lune, 2020, 86p., 13 euros. Patrie, fratrie, poésie : un trio de thèmes pour la poète car la « résistance » la contraint, pour notre bonheur, à énoncer le réel sans apprêts, dans une singulière écriture où les père, mère, fils, filles dévident « des voix » sous les pierres, la « terre telle/ une grande femme/ un peu malade/ chancelante », ses « poches/ (qui) se remplissent/de visages vus/ au fil du rêve ». Pas de tiédeur ici ni de sentimentalisme rose, les mots désarticulés rameutent des morts, des mots « fichés dans la tête ». Les bombes qui tuent, la mer noire de leur sang : autant de blessures difficilement curables. L'oeil de Durbec nomme, incise, dénonce, coléreux et aigu. Ailleurs, les conversations de comptoir ou les mots jetés en l'air (l'air de rien) disent bien l'inanité de certains dialogues de sourds. Aucune cruauté là ; seulement un désir rageur de dire un certain malaise de nos vies communes, et difficilement partageable. Une poésie courageuse, engagée, qui peut heurter les consciences tranquilles.
© Philippe Leuckx in Les Belles Phrases, février 2021

Pour le psychanalyste, le « ça » est l'inconscient, le refoulé. Pour le linguiste, c'est ce qui n'a pas de mots pour le dire : « ça va ? ». En combinant les deux, ce recueil s'ouvre sur l'innommable, l'inconcevable, à commencer bien sûr, par la mort, celle de l'oiseau dont « on ne sait pas » le nom, du grand-père dont on ne comprend pas les derniers mots écrits. L'auteure constate : « parfois je peux inventer / tout un monde / parfois je ne peux pas / pas même / un / tout petit » Et pourtant, « ça » me poursuit. C'est. Alors ? Alors commence l'aventure, l'épreuve, du poète : dire coûte que coûte. Par le seul pouvoir des mots, susciter la mer « qui n'existe pas » dans une bassine en plastique. Par le pouvoir d'un mot, « donc », envisager, regarder en face la mère et ses fils devenus assassins, « ça » qui est issu de moi. Et l'exemple choisi, ce fils au nom de Djokhar qu'on entend joker, comme la carte, vaut pour tous les fils, et pour toutes les mères. « On reste sans voix ». La phrase crachote comme une vieille bagnole qui refuse de démarrer, des points intempestifs en soulignent l'échec. Des fils, il y en a des milliers aussi au fond de l'océan et leurs mères sont « sans nom à murmurer, sans corps à bercer ». Et quand un
mot apparaît, « riblon », il paraît inutile, déchet de fer :
« Que peut faire la poésie avec ça ? » On ne choisit pas son monde, ses mots, il faut faire avec, avec la polysémie de la « grève », les glissements l'épaule / les pôles, ou ce «patrimoine » qui devient « patrimoelle » et s'apercevoir que tout fait sens, que la poésie est peut-être justement dans le non-sens de la vie, dans ce qui ne peut se dire, qui devient formule mathématique, preuve par neuf (toujours le « donc » initial). le salut viendra peut-être d'ailleurs, des mots d'ailleurs, anglais, portugais par lesquels « la chaise cassée / donne la légèreté qui manquait / à la femme qui écrit ».
Par le détour de l'autre « ça qui sauvage devant […] tout ça loin puis proche à nous toucher » peut peut-être s'apprivoiser, être ingéré, et même si la poésie « souvent se
tait quand tous crient », si les filles sont « désarçonnées », il se peut aussi, tout à la fin du livre, que la barrière (de la langue ?) sourie à l'enfant car « ça, qui nous poursuit nous tient encore en vie ». Il n'est d'autre choix que d'écrire le monde.
© Alain Kewes in Décharge N°188.

Dans ce recueil Sylvie Durbec propose une poésie très libre où les vers ne sont parfois qu'un seul et unique mot. Pendant ma lecture, j'ai eu l'impression, mais je peux me tromper, que sa plume suivait le cheminement de sa pensée qu'elle matérialisait par quelques mots, une phrase complète, quelques phrases très courtes, même un seul mot ou une suite de mots séparés par un point, qu'elle déposait sur la feuille les mots ou le mot unique qui pouvait exprimer son sentiment, ses impressions, ses réflexions, ses réactions devant la situation qu'elle décrivait. Ainsi ses vers semblent suivre le cheminement de sa pensée en la ponctuant de mots ou expressions sensations, émotions, idées, interrogations, négations, refus…
Elle décrit un paysage qui semble le sien, le monde dans lequel elle vit, les petites choses de la vie mais aussi les nouvelles du monde qui viennent percuter la quiétude de son milieu. Elle n'est plus toute jeune, elle a déjà un fils de son fils qui interroge les étoiles.
« L'étoile solitaire, a dit l'enfant, fils de mon fils / le plus âgé, aura bientôt de la compagnie /Et nous avons levé les yeux. »
Cet enfant est source de bonheur et de joie mais il est aussi questionnement sur la progéniture, sur les chemins que les enfants empruntent. Les actualités nourrissent une forme d'inquiétude sur le devenir de ces enfants lorsqu'ils deviennent des fils, des grands frères.
« Avoir des fils. / Qui sont frères. / Et se demander. // Se demander ? / Oui, s'interroger sur ces fratries prêtes à / Mourir ensemble. »
Même le pire meurtrier a été un enfant et reste un fils, un petit-fils, peut-être un frère, un petit frère affectueux, un grand frère attentionné. Et, il est à jamais « un enfant de Dieu » comme Cormac McCarthy l'a écrit dans son célèbre roman. Alors, pour la mère ou la grand-mère, il reste la culpabilité d'avoir enfanté un fils meurtrier.
« Qu'a pu comprendre la mère des tueurs ? / Figée dans le déni. »
« Mère de fils. / Donner la vie à qui donne la mort ? / Vraiment ? »
L'enfant est au coeur de ce recueil mais il n'est pas le seul sujet, il y a aussi d'autres personnages de passage : le Marseillais, l'ami anglais, Claude-Aziz, le brave paysan qui ne sent pas encore sa mort prochaine : « … / Retourné dans la salle d'attente / à sourire / ce qu'il espère / est déjà sous terre »
C'est son monde que Sylvie décrit avec des mots comme des coups de pinceaux que l'artiste dépose sur la toile, des mots lumineux pour représenter les enfants et, sur les bords du tableau, des personnages, des paysages, des petites choses qui pourraient paraître insignifiantes mais qui font partie de son univers, de son quotidien, de ses préoccupations…
© Denis Billamboz, novembre 2020 in http://mesimpressionsdelecture.unblog.fr/2020/11/10/ca-qui-me-poursuit/
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