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Critique de Aurelire


J'ai découvert Dorothée Dussy en écoutant un podcast des "Couilles sur la table" et j'avais été surprise et choquée des chiffres de l'inceste évoqués et de l'importance du phénomène dans la société française (et pas que).

Dorothée Dussy y aborde dès les premiers mots et de façon brutale le phénomène sociétal qu'est l'inceste ("Tous les jours, près de chez vous, à Lyon, à Paris, à Barcelone, à Toronto, à Mexico ou à Dallas, un bon père de famille couche avec sa petite fille de neuf ans. Ou parfois elle lui fait juste une petite fellation. Ou c'est un oncle avec son neveu. Ou une grande soeur avec sa petite soeur." Cette étude, basée sur une bibliographie très conséquente mais aussi sur des entretiens réalisés auprès d'incesteurs condamnés à des peines de prisons, est très complète, décortiquant petit à petit l'ampleur de ce phénomène et surtout le silence autour de ce fléau.

C'est un livre difficile, bien sûr, à la fois par la description de ce que certain•es ont vécu, mais aussi parce qu'on se rend compte de l'énormité du phénomène : en France, le nombre de victimes d'incestes est évalué à 3 millions de personnes (et ce livre datant de 2013, il faut quand même noter que de récentes études menées par l'INED et IPSOS évaluent ce chiffre à 6,7 millions de personnes, soit un homme sur huit et une femme sur cinq incesté•es avant leurs 18 ans). Au-delà de ces chiffres effarants, c'est le peu de condamnations et de dénonciations qui choquent, le silence familial qui est le coeur même du phénomène de l'inceste. Dorothée Dussy y explique clairement comment l'incesté est parfois mis au ban de la famille car il a osé "briser la famille" en révélant l'inceste (alors que dans le même temps, l'incesteur n'est que peu critiqué ou rejeté). Elle y montre la véritable omerta familiale qui se tisse autour de ce phénomène et qui détruit encore plus les victimes.

Ce livre est aussi l'occasion de montrer que ce phénomène est un vrai phénomène sociétal, lié à la domination, qui se reproduit souvent dans les familles qui connaissent plusieurs cas d'incestes, ceux-ci n'étant pas forcément liés (l'incesté ne devient pas forcément incesteur, mais il y a souvent plusieurs incestés et plusieurs incesteurs dans une même famille). Elle y décrit aussi le phénomène consistant a minimiser ces actes, surtout quand ils sont commis par des enfants ou des adolescents, définis très souvent comme des "jeux" alors qu'ils créent un vrai traumatisme aux victimes. Elle y montre également que les incesteurs minimisent souvent leurs gestes, et que bien que la plupart aient conscience que leurs gestes sont interdits par la loi et peuvent les mener en prison, ils savent aussi que les condamnations sont rares et qu'ils ont de grandes chances de passer au travers des mailles du filet.

Enfin, elle décrit la prévalence de ce phénomène dans la société, s'appuyant notamment sur l'exemple du procès d'Outreau, dont la plupart des gens ont retenu l'erreur judiciaire, en occultant complètement que des enfants avaient vraiment été violés et que c'est finalement ça le plus grave... Et que depuis ce procès, la parole des enfants est souvent remise en cause alors que les fausses déclarations restent pourtant extrêmement rares.

Il y aurait des lignes et des lignes à écrire sur ce livre alors plutôt que de tout résumer, je vous invite vraiment à le lire. Cet ouvrage est magistral, à la fois parce qu'il analyse en profondeur ce phénomène, mais aussi parce qu'il s'appuie sur de nombreux témoignages d'incesteurs et d'incestés et qu'ils nous permettent de mieux comprendre pourquoi ce phénomène est si ancré dans nos sociétés, et par-là même, en en ayant conscience, de pouvoir peut-être lutter plus efficacement pour la protection des enfants (mais au vu de la décision du Sénat d'hier, qui a refusé la création d'une délégation aux droits des enfants, il semblerait que le chemin soit encore long...).
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