AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JustAWord


Entreprise de fantasy ambitieuse à la française, le cycle de la Tour de Garde entrelace deux trilogies dans le même univers mais écrit par deux auteurs différents. D'un côté, Guillaume Chamanadjian et sa Capitale du Sud (Gemina), de l'autre Claire Duvivier et sa Capitale du Nord (Dehaven).
Après une première incursion en avril dernier en compagnie de Nox, voici cette fois que nous arrive Amalia, jeune héroïne de Citadins de Demain, premier volume de la trilogie prenant place dans la Capitale du Nord, Dehaven.
Aux manettes, Claire Duvivier que l'on a découvert chez le même éditeur avec le sublime Un Long Voyage. Inutile de dire que l'on attendait beaucoup de ce nouveau roman toujours superbement illustré par Elena Vieillard.
Mais qu'en est-il vraiment ?

Former la jeunesse
S'éloignant de la tentaculaire cité de Gemina, Claire Duvivier nous fait découvrir une autre ville portuaire avec Dehaven. Première différence avec sa cousine du Sud, Dehaven n'est pas divisée entre maisons nobles, ou du moins de manière bien moins ostentatoire que pour Gemina. Pas de système à la Game of Thrones ici mais un monde plus classique et certainement moins excitant de prime abord. Claire Duvivier nous présente un trio de personnages avec Hirion, héritier de la famille de Wautier, Amalia, héritière de la famille van Esqwill et Yonas, roturier destiné à prendre la suite de son père à la tête de l'écluse.
Deux nobles pour un petit bourgeois, deux mondes qui pourtant se côtoient grâce aux idées progressistes de la famille van Esqwill qui tient à enseigner à leurs enfants la plus large palette de connaissances pour en faire de véritables « citadins de demain ». C'est ainsi que dans leur grande mansuétude, Yonas bénéficie quasiment des mêmes largesse qu'Amalia et son meilleur ami, Hirion.
Les années passant, les enfants grandissent et entrent dans l'âge adulte, découvrent les interdits et les problèmes d'une vie compliquée dans une cité en proie aux dissensions politiques, notamment autour de la question épineuse des Colonies qui n'en finissent pas d'attiser les convoitises des uns et des autres. En parallèle de l'apprentissage de la vie d'adultes, les jeunes trublions vont finir par découvrir d'étranges possibles alors qu'Hirion, fasciné par le mystère et les légendes — choses que leurs parents ont toujours refusé de leur enseigner — découvrent une cité par-delà le miroir : Nevahed.
Une ville antérieure à la leur ? Une projection du futur ? Une réalité parallèle ?
Alors que l'exploration de Nevahed commence, les évènements se bousculent dans la vie d'Amalia qui nous raconte le sinistre chemin emprunté par son ami Hirion …
Nous le savons depuis Un Long Voyage, Claire Duvivier n'aime pas le spectaculaire et le clinquant. Elle préfère s'attarder sur l'intime et les relations qui se nouent entre les personnages, tricotant une humanité poignante entre les lignes, dévoilant du bout des lèvres les secrets les plus profondément enterrés de ses personnages. Citadins de demain renouvelle l'expérience de son précédent roman tout en mêlant l'intime de ses protagonistes aux évènements politiques qui entourent ce joyeux petit monde.

L'attrait des légendes
Là où Guillaume Chamanadjian affrontait son récit avec des artifices narratifs plus classiques, jouant sur les rivalités entre maisons nobles, dégainant régulièrement l'épée et offrant à sa ville un caractère fort, Claire Duvivier délaisse un tantinet ce côté pour se concentrer sur les états d'âme de la jeune Amalia et sur l'influence des évènements extérieurs sur la relation entre elle et son futur promis, Hirion. Claire Duvivier tisse avec lenteur l'histoire de ces jeunes privilégiés, esquive les évidences et dissémine les indices sur nombre de penchants et de rumeurs entourant tantôt Hirion tantôt Yonas.
Dehaven, même si elle manque certainement de la fantaisie de Gemina, devient un terrain de jeu parfait pour une intrigue fondée sur les sentiments et sur les renversements, entre fiançailles d'intérêt, sacrifices parentaux et folles espérances pour l'avenir. Ce qui intéresse Claire Duvivier, ce sont les coups qui pleuvent sur la tête de ce trio pourtant promis à un grand avenir et comment ils y font face… ou pas, accablés par certaines blessures, certains non-dits.
Amalia a pour elle l'intelligence et le réalisme tandis qu'Hirion n'arrive pas à se dépêtrer de la souffrance qui le ronge lui et sa famille devant la maladie qui affecte sa soeur, Delhia. C'est d'ailleurs cette blessure qui le pousse à chercher des chemins de traverse, fasciné par les légendes et par le surnaturel.
Hirion va finir par déterrer des artefacts qu'il ne comprend pas tout à fait et jouer avec des forces qui le dépasse largement. Claire Duvivier, comme à son habitude, distille le fantastique dans son récit et n'y saute pas à pied joints comme Nox le fait dans sa propre histoire à Gemina. le côté surnaturel n'est ici qu'entraperçu, la plupart du temps en regardant au-delà d'un miroir, cherchant un Lapin Blanc pour pénétrer dans Nevahed, cette ville-reflet de Dehaven que l'on soupçonne emplit de terreur. Entre les lignes, Citadins de demain parle également de l'autre, qu'il soit dans les colonies, exploité sans vergogne et finissant par se révolter, ou qu'il soit roturier, syctes, éclusier, tous ces petites gens que, finalement, Hirion et Amalia ne connaissent qu'en surface. Et puis pour compléter le trio, on trouve Yonas, un pied dans chaque monde, celui des nobles et celui du peuple, qui connaît les légendes et l'utilité de leur morale et qui connaît le fardeau de la responsabilité, du pouvoir, aussi limité soit-il pour lui.

Que ferons-nous du changement ?
Bien sûr, Citadins de demain propose pas mal de connections avec le Sang de la cité. On y mentionne plusieurs fois Gemina, on y retrouve la fameux jeu de stratégie de la Tour de Garde, on y perçoit des échos d'évènements funestes qui causent mort et malheur. Mais là où le Sang de la cité semble davantage se concentrer sur un jeu de pouvoirs et sur un fantastique évident, Citadins de demain s'avère plus feutré, plus proche d'un récit de littérature générale avec une ambition différente mais pas moins fascinante, au contraire même.
Claire Duvivier s'interroge sur l'éducation et ses buts, sur la connaissance des matières qui ne sont pas « nobles », sur l'influence du fantastique sur le réel, sur la condition d'une femme dans un monde qui change et où d'autres femmes lui ont ouvert la voie, montrant que les positions de pouvoir ne sont pas réservées qu'aux seuls hommes. Au fond pourtant, la question n'est pas tant sur le plan du genre que sur celui du pouvoir. Pourquoi changer et éduquer différemment si c'est pour conserver un statu quo social ?
Citadins de demain jette de nombreuses pistes de réflexion, sur le colonialisme, sur le progressisme intellectuel et sur la fragilité d'une société inégalitaire.
Mais surtout, Citadins de demain parvient à suggérer, à jouer avec les non-dits et les tabous pour sous-entendre que même dans les milieux les plus progressistes de Dehaven, le chemin sera encore long pour faire bouger réellement les lignes…

Essai transformé pour Claire Duvivier avec cette première histoire prometteuse autour de Dehaven et de ces trois personnages attachants et émouvants confrontés à une société en pleine mutation. Citadins de demain renoue avec cette veine intimiste qui sied si bien à l'écriture de son autrice pour nous emmener sur ces terres rudes où l'âge adulte vient chasser les restes de l'enfance.

Lien : https://justaword.fr/capital..
Commenter  J’apprécie          354



Ont apprécié cette critique (35)voir plus




{* *}