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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Que faites-vous ici, Chasseur de rats ?
- Vous voyez bien ce que je fais, je sens une rose.
- Sentir les roses n'appartient pas à un chasseur de rats. Or vous êtes un chasseur de rats."

Le Chasseur de rats. le Chas-seur-de-rats. Une orgie onomatopéique. le "ch" initial chuintant qui évoque le grouillement de vermine se prolonge dans un "r" dramatique et cruel, pour finir dans la dernière syllabe brève et dure qui tombe comme un couperet. Les voyelles ajoutent à peine un peu de luminosité au sombre sobriquet du héros principal sans nom.
On y sent les temps reculés, l'odeur moisie des vieux murs de Hameln, et le dégoût envers les rats qui font peur. Mais aussi quelque chose d'étrangement fort et sensuel, qui contribue encore à l'atmosphère fascinante de la courte nouvelle de Dyk.

Tout le monde connait l'histoire du Joueur de flûte de Hameln, inspirée par un mystérieux fait divers de 1284. le vitrail de l'église de cette ville allemande montre encore un personnage avec une flûte, entouré d'enfants tout de blanc vêtus. Qu'est-il arrivé à ces enfants ? La légende a été racontée des centaines de fois, y compris par Goethe, Mérimée ou les frères Grimm, et vous en connaissez certainement aussi la fin. L'écrivain tchèque Viktor Dyk va la refaçonner à son image en 1911, en lui ajoutant une dimension amoureuse et (anti?)faustienne, et le résultat est aussi envoûtant que le son de la mortelle flûte.

Qui était-il ? D'où venait-il ? On ne le saura pas. le Voyageur éternel, la Vengeance, la Mort ? Seulement quelques allusions cachées profondément dans le texte laissent deviner que c'est quelqu'un qui a déjà tout vécu et plus rien ne peut le surprendre. Quelqu'un qui a autrefois aimé et perdu, et dont le coeur est devenu impénétrable aux naïfs sentiments humains. Quelqu'un qui a traversé cent pays et mille villes, tué des myriades de rats, et pourrait fièrement continuer son chemin... mais la ville de Hameln l'a mis sur les genoux.
Car à Hameln il y avait Agnes, et avec une branche de jasmin elle a changé le destin du Chasseur de rats.
Elle était peut-être choisie pour le sauver, et par l'amour et la bonté le remettre sur le chemin du Bien.
Et pendant longtemps sa chevelure blonde a protégé Hameln devant la colère et la vengeance du Chasseur, qui n'a jamais reçu de salaire pour les services rendus :
"Je pourrais détruire Hameln. Je pourrais faire en sorte qu'aucune âme qui vive ne reste plus entre les murs de la ville. Je pourrais faire tout cela. Je ne veux pas... Dieu a demandé dix justes pour épargner Sodome et Gomorrhe. Je veux être plus humble que Dieu. Une seule femme me suffit. Je vais épargner Hameln pour toi, Agnes."
Mais tout comme on enlève au Chasseur de rats le droit de sentir une rose, on lui enlève aussi le droit d'aimer, et il n'y a plus d'autre chemin. Hier il avait peur de faire résonner sa flûte, aujourd'hui c'est le seul remède pour soulager sa douleur. Les conseilleurs peuvent garder leurs ducats, ce n'est pas pour ça que la flûte se fera entendre...

J'espérais qu'une fois sortie de l'adolescence, j'arrêterai de tomber amoureuse de personnages littéraires, mais Dyk a démontré que ce n'est pas possible. du moins pas maintenant. "Le Chasseur de rats" est un joyau littéraire. Ca doit être quelque chose dans le langage de Dyk : quelques phrases courtes et simples lui suffisent pour vous faire oublier le présent et vous déposer directement sur la place de Hameln, il y a 700 ans. Il n'a pas besoin d'expressions recherchées, mais par des répétitions bien dosées il crée une urgence dramatique qui fait ressortir les émotions plus sûrement que le courant de la rivière Wesser. La tension est graduée goutte-à-goutte, mot par mot ; le coeur du Chasseur de rats déborde, puis explose, et sa colère est vraiment terrible.
Avec sa flûte, il assemble ce qui reste de la vermine à Hameln. Elle sonne comme une trompette de l'Apocalypse, comme un avertissement, comme une moquerie cynique et comme un doux appel. Elle chante la vie idyllique dans le pays des Sept-Châteaux, et sa mélodie pousse la foule à s'y précipiter, avec des chances plus qu'incertaines pour le retour.

5/5, pour l'inimitable atmosphère et le sombre héros selon tous les codes officiels du romantisme. Une love story géante à un milliard de dollars, si seulement Hollywood savait ou chercher... Mais c'est peut-être mieux comme ça.
Sauter dans le précipice ou pousser les autres à sauter ? Voilà la question...
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