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Critique de domi_troizarsouilles


J'avais repéré ce livre depuis un moment déjà, pour une raison assez « bête » en lien avec les nombreux challenges auxquels je participe : ici ou là, il est question de trouver la lettre Z dans le titre d'un livre, or quoi de mieux que la première lettre du titre ? Cependant, c'est parce que ce livre m'a été proposé en lecture imposée, dans l'un desdits nombreux challenges, que j'ai fini par l'entamer.
Je le termine dans un mélange de perplexité et d'irritation…

Il suffit de lire le 4e de couverture pour comprendre l'essentiel : il s'agit des quelques jours / semaines de la vie d'une famille, juste avant, pendant et après le passage du terrible ouragan Katrina, qui a complètement dévasté la ville de la Nouvelle-Orléans en 2005. Les images de cette terrible catastrophe naturelle ont alors fait la une des journaux télévisés, et probablement ému le monde entier, pendant plusieurs semaines, avec ces vents d'une violence inouïe, ces inondations qui ont rasé toute une ville et certainement ses quartiers les plus pauvres, et ce dénuement extrême dans lequel s'est retrouvée toute une population déjà guère favorisée à la base.

Ici cependant, l'auteur, qui se définit lui-même comme celui qui a recueilli les paroles de ceux qui ont vécu cette catastrophe, proposant donc un témoignage mais en aucun cas un roman, prend un angle inhabituel pour raconter l'histoire de la famille Zeitoun.
Car, oui : Zeitoun est en réalité le nom de famille (on le devine américanisé, car l'un des frères de notre protagoniste, émigré quant à lui en Espagne, est devenu Zeton) d'un homme de 47 ans, Syrien d'origine et musulman, mais ayant émigré aux États-Unis. C'est là qu'il a s'est marié avec une Américaine de souche convertie à l'islam, qu'ensemble ils ont construit une famille composée du fils de Kathy d'un premier mariage et de leurs trois filles, et qu'il a lancé une entreprise de construction désormais florissante. de son vrai prénom Abdulrahman, prénom qui serait imprononçable pour des Américains, il a fini par se faire appeler de tous (à part leurs plus proches amis, musulmans eux aussi) de son seul nom de famille…

Et ainsi, pendant un peu plus de la première moitié du livre, l'auteur nous relate une histoire assez tranquille, comme un chassé-croisé sans heurts de narration des événements en cours, et de flashes back détaillant la vie de Zeitoun en Syrie et sur les mers (car il a été marin au long cours avant de se fixer aux États-Unis), ou celle de Kathy à la recherche d'elle-même jusqu'à aboutir à l'islam.
On sent le vent qui forcit, les nouvelles météo qui sont diffusées et de plus en plus alarmantes ; on entend l'inquiétude de Kathy qui grandit, tempérée cependant par une certaine indécision des autorités (qui ne déclareront l'évacuation, d'abord volontaire puis obligatoire, que très tardivement) et par la placidité de Zeitoun, qui ne cesse de rappeler qu'ils ont vécu bien d'autres ouragans, assez communs dans cette région des États-Unis, et qu'il sait comment y faire face même si celui qui approche est annoncé comme exceptionnel.

Cependant, Kathy finit par décider de partir avec les enfants, d'abord chez de la famille à Bâton-Rouge où ils seront bienvenus mais sans plus, jusqu'à terminer chez une amie de toujours, elle aussi convertie à l'islam, qui habite à plus de 2.000 km des événements, ce qui permettra à la famille de « souffler » réellement, en toute sécurité physique et émotionnelle.
Zeitoun quant à lui décide de rester à La Nouvelle-Orléans, lui l'ancien marin (on l'a dit) tout à coup presque heureux de pouvoir utiliser un frêle canoë qu'il avait acquis quelque temps avant sur un coup de tête ! Cette embarcation de fortune va lui permettre de sillonner les rues sous eaux, de porter secours (avec quelques autres civils qui, comme lui, ont choisi de rester sur place) à des personnes qui n'ont pu partir à temps et qui sont désormais abandonnées de tous, dans les étages supérieurs et souvent sans confort de ce qui reste de leur chez-eux, ou d'aller nourrir les chiens de voisins qui sont, eux, bien partis… abandonnant leurs fidèles compagnons !
Par la suite, il choisit aussi de faire fi de l'ordre d'évacuation obligatoire de la ville, qui finira par arriver des jours et des jours plus tard ; toutefois, il maintient un contact téléphonique avec Kathy une fois par jour, car la ligne fixe chez eux (sachant qu'il « habite » désormais aux étages, après y avoir transporté tout ce qu'il pouvait pour sa survie) est restée miraculeusement active !

Et puis tout bascule peu après cette première moitié de la narration : l'auteur nous relate, d'abord par les yeux de Kathy qui reste tout à coup sans plus aucune nouvelle de son mari et plonge aussitôt dans l'angoisse, puis (presque très tard dans le livre) une vision de la réalité vécue par Zeitoun, le fait qu'il a été arrêté par des forces de l'ordre tout à coup surpuissantes. Arrêté arbitrairement chez lui alors qu'il est juste en train de prendre sa douche ; incarcéré à la suite de plusieurs indices compromettants, dont sans aucun doute son « délit de sale gueule » (même s'il n'est jamais mentionné ainsi), lui le Syrien d'origine qui parle anglais avec un accent qu'il n'a jamais perdu, il se retrouve accusé de terrorisme – accusation qu'il savait pendante depuis des années, depuis le fameux 11-septembre en fait, mais que le chaos de l'après-ouragan a tout à coup rendu possible ! Mis au secret, traité en violation des plus élémentaires droits humains (et des propres lois américaines), il passera plusieurs jours de détention dans des conditions inimaginables, qui vont le marquer profondément… sans même parler de toutes les tracasseries administratives qu'ils vont devoir traverser pour sa libération puis la récupération de choses aussi élémentaires que son portefeuille par exemple (qui ne contient plus que sa carte de séjour et son permis de conduire), considéré comme pièce à conviction alors même que toutes les charges contre lui ont été abandonnées !

Ainsi, même si cette partie réellement tragique fait finalement moins de la moitié du livre, elle est évidemment la plus impactante, et montre de façon implacable comme les États-Unis, qui ont tellement tendance à s'ériger comme les parangons de la Vertu internationale et gardiens des Droits de l'Homme (surtout quand il s'agit de s'opposer à la Chine ou à la Russie, cela dit…), ont été réellement minables et désespérément inhumains dans la gestion d'une crise majeure. En effet, comment définir autrement la politique d'un pays qui, sitôt l'ouragan passé, à en croire l'auteur, a commencé par construire une prison temporaire sur les hauteurs de la ville (là où Zeitoun sera incarcéré au début de sa détention), avant même de partir à la recherche des habitants, potentiellement en détresse, qui seraient restés coincés chez eux- ce qui a donc échu à quelques civils bienveillants, comme Zeitoun, justement ?

Le contraste entre ces deux façon de faire est évidemment saisissant.
Cette vision ne fait que renforcer l'image de ces États-Unis, encore et toujours synonymes de terre de rêve pour bien des peuples défavorisés, mais désormais bien « cassée » en d'autres lieux, et certainement pour certains en Europe… dont moi !
On sait que La Nouvelle-Orléans s'est relevée de ses blessures, désormais, mais les souvenirs restent vifs, et pour certains resteront, à jamais, particulièrement douloureux !

Ainsi, pour en revenir à ce que je disais plus haut : ce livre-témoignage montre donc le passage de l'ouragan Katrina par un biais moins médiatisé que ce qui nous avons pu voir à l'époque, c'est-à-dire la vision par un couple musulman (et qui s'affirme comme tel avec conviction : Kathy par exemple porte le hijab par choix, alors que ce n'est même pas une obligation, et qu'elle en est vivement critiquée notamment par sa famille américaine !), dont la religion va devenir une réelle malédiction dans un contexte de toute façon très tendu…

Mais cette vision que l'auteur donne de l'islam a fini par me poser question. Je précise d'emblée que je n'ai aucun problème avec l'islam en tant que tel. Je partage très largement la vision de l'auteur selon laquelle les fondements de cette religion n'ont rien à voir avec la version apparemment privilégiée aux États-Unis, qui semble y voir surtout une religion vivier de terroristes, ce qu'elle n'est évidemment pas… même si les désormais nombreux attentats internationaux revendiqués par ses extrémistes, avec le 11-septembre en premier lieu, finissent par lui donner une allure bien sombre.

Au contraire, l'auteur le présente ici comme une religion géniale : magnifique et ciment d'une famille aux nombreuses branches, éclose en Syrie où il fait bon vivre ; refuge et porte ouverte vers soi-même pour Kathy qui y a suivi son amie de toujours ; base d'un foyer stable et d'une famille solide où l'amour est toujours présent – sans exclure les frictions ou autres malentendus, mais tout se résout toujours ; bref, une famille « normale », comme chez vous et moi en somme !

Ainsi, c'est une version parfois très édulcorée que l'auteur donne de l'islam – pourquoi pas ; ce qui m'a dérangée en revanche, c'est que ce point de vue m'a parfois semblé à la limite du prosélytisme.
Et de nous citer des passages entiers du Coran, mais uniquement ceux qui portent un message (très) positif – certes c'est intéressant, mais c'est aussi très, très orienté, un peu comme si je ne citais que les beautés poétiques du Cantique des cantiques ou les jolis passages des Évangiles, à l'exclusion de toute autre référence plus violente ou carrément guerrière dont la Bible regorge (je ne sais pour le Coran mais ça m'étonnerait que ce soit fort différent…).
Et de raconter la conversion de Kathy comme une belle histoire, on croirait même que son chemin de foi est « le » chemin absolu qui donnerait le bonheur à toutes les femmes, de même que son mariage, certes heureux d'après ce livre, mais qui est quand même présenté comme plus ou moins « arrangé » (au sein de la communauté islamique locale)… et de défendre avec conviction son choix de porter le hijab – or, on sait que c'est un sujet polémique que seuls les spécialistes peuvent trancher, et encore, mais ici l'auteur a clairement fait son choix lui aussi !

Et c'est ainsi tout du long : Zeitoun est un type formidable, issu d'une famille géniale, avec des frères et soeurs magnifiques. Même son choix de rester à La Nouvelle-Orléans est encensé, parce qu'il a aidé plus d'une personne et quelques chiens certes, mais pour moi ça commence à poser question après l'ordre d'évacuation qui, comme dit plus haut, est survenu très tard de toute façon, et à un moment où les autorités avaient commencé à gérer tant bien que mal les conséquences humaines, et Zeitoun reconnaît alors lui-même qu'il n'avait plus grand-chose à faire lors de ses tournées en canoë…
Pourquoi s'est-il entêté à rester là malgré tout, alors que, en plus, sa famille ne cessait de lui demander de les rejoindre à Phoenix, Arizona ? Oh ! je n'irais pas jusqu'à prétendre qu'il a bien cherché ce qui lui est arrivé, personne ne mérite d'être traité ainsi ! Mais n'aurait-ce pas pu être évité, tout simplement ? Ça n'aurait pas rendu les actes des autorités américaines plus acceptables, loin de là (car, selon l'auteur, Zeitoun est loin d'avoir été la seule victime des dérives policières et justicières qui ont suivi Katrina), mais au moins lui en particulier n'aurait pas eu à vivre tout ça…

Bref, comme je disais plus haut : je referme ce livre-témoignage avec un sentiment de désolation-irritation envers l'inaptitude (et l'inhumanité) des autorités américaines face à l'une des plus grosses catastrophes naturelles connues ces dernières années, mais aussi perplexité face au parti-pris évident de l'auteur, qui présente l'islam avec une certaine ferveur bien proche d'un prosélytisme, qui n'était en aucun cas nécessaire pour décrire le drame vécu par la famille Zeitoun !
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