Un attroupement s’est formé autour du corps à présent apaisé. Je planque l’arme sous le siège. Hypnotisée par la scène, je fais comme eux, les badauds, je mate le cadavre. Voir la mort pour se dire qu’on est vivant.
Une flaque rouge dessine une arabesque ronde et vivace autour de sa tête. Soulagement brutal, délivrance inquiétante, toute-puissance. La montée d’adrénaline est si forte qu’il n’y a plus de place pour la tristesse ou la colère. Juste un sentiment de joie intense auquel succède une sensation de plénitude absolue.
Au fil des mois, je m'habituais au silence, aux petits déjeuners avec pour compagnons une tasse de café et un livre. Il avait fallu que Franck me quitte pour que je mesure l'ampleur de ma dépendance. Un amour bancal. J'avais été la victime consentante d'un expert en manipulation. Un constat sans appel. Je n'avais pas connu l'état d'ivresse que je devinais dans les scènes d'amour torrides des polars. Les affres de mon chagrin n'étaient que l'angoisse liée au bouleversement de mon quotidien. Le vertige du taulard bousculé à la porte de son centre de détention. Cette terreur imbécile de n'avoir plus de tortionnaire pour poser les limites, de gardien pour veiller au respect des règles. Plus rien ne me protégeait de moi-même.
Aujourd’hui, je règne sur cet espace clos où se bousculent les amateurs. Sensation nouvelle d’avoir un rôle majeur. Celui de décider des ouvrages qui seront exposés aux meilleures place ; celui d’influencer les lectures de dizaines d’inconnus pour qui je n’éprouve qu’indifférence.