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Critique de luci0lebleue


La relecture de ce livre pour la troisième fois m'incite à la confidence, sans aucun tabou.
Le 29 avril 2019, la France entière découvrait aux 12 coups de midi, Paul El Kharrat, jeune autiste Asperger superbement intelligent. Ce même jour, à 80 kilomètres de chez moi, j'obtenais un diagnostic : je n'étais pas bizarre, j'étais autiste.
Enfant, je me suis toujours sentie en marge de la société et mes petits camarades de classe ne faisaient rien pour me dissuader du contraire. Une alien débarquée sur Terre, qui savait déjà lire avant d'entrer à l'école, passionnée de dessins-animé, de lecture, d'écriture, de puzzles, de jeux vidéo, jeux télé et cérébraux.
30 ans plus tard, rien n'a changé. Mes intérêts spécifiques sont restés les mêmes. Se sont rajoutées néanmoins d'autres activités créatives comme les perles à repasser ou le dessin. Sur de nombreux points, Paul est un alter-ego. Nous partageons le même amour des Pokémon, des jeux de cartes et cette soif d'apprendre. Lui aime les dinosaures, moi les requins. Lui est subjugué par les chiffres qu'affiche son réveil, moi par ceux des plaques d'immatriculation.
Adolescente, tout comme lui, je me réfugiais au CDI dès que je le pouvais. Madame Matthis, la documentaliste, m'avait repéré dès le départ et veillait à ce que personne ne vienne me déranger pendant que je lisais. Sans doute avait-elle perçu le harcèlement virulent dont j'étais victime... La cour de récré était pour moi synonyme de jungle. J'étais une antilope parmi les hyènes et je préférais de loin me plonger dans les pages des Schtroumpfs ou de Titeuf plutôt que prendre l'air avec mes bourreaux. Les BD ont eu une place particulière à ce moment de ma vie et c'est avec émotion que j'y repense parfois.
A l'époque, je mangeais beaucoup pour compenser, frôlant malgré moi les 70 kg. Ce surpoids n'a rien arrangé à mon harcèlement. Que c'est simple de clasher une gamine seule et sans assurance sur son physique ! Aujourd'hui, du haut de mes 37 kg, je suis jugée aussi, sans que personne ne sache réellement que ma minceur est issue d'une maladie. On est toujours trop ou pas assez.
Comme tout autiste qui se respecte, je suis à cheval sur les horaires : le moment de prendre ma douche, de préparer mes repas, de lire... Tout est minuté, chronométré et l'imprévu est pour moi une catastrophe. La phrase "on verra sur place" relève de la crise d'angoisse pour moi. Il est impossible que je n'ai pas d'information sur l'activité qu'on va faire, le restaurant où on va manger ou l'heure à laquelle on va rentrer. Les surprises sont terribles et les cadeaux de certains particulièrement anxiogènes car feindre le contentement est impossible.
Je n'ai plus de filtre. Avant, lorsque j'étais scolarisée, je tentais de rentrer dans le moule et de me conformer à la normalité des neurotypiques au prix d'efforts colossaux et destructeurs. Maintenant, j'ai cessé de le faire. Peu importe si je me brouille avec ma famille, je suis cash. Je dis ce que je pense et je pense ce que je dis. Comme Paul, je déteste le mensonge et ne peux pas supporter qu'on me mente. J'ai aussi la même philosophie pessimiste de la vie que lui. L'un de mes mantras : "N'attends rien de la vie, tu ne seras pas déçue."
Enfant, on m'a souvent laissé espérer qu'à chaque rentrée scolaire, je me ferais des amis. Une seule a laissé une marque indélébile dans mon coeur car, je crois, qu'elle a été l'unique à sincèrement m'aimer. Je ne l'ai jamais oublié et elle me manque plus que tout. Les autres m'utilisaient, mais comment le comprendre alors que j'étais incapable de reproduire ce vil schéma moi-même ?
Cela fait bien longtemps que je n'attends plus rien de la vie. J'ai la sensation d'avoir été programmée comme un robot, destiné à faire les tâches qui lui incombent et rien de plus. Etre différent dans ce monde est loin d'être un atout. C'est renoncer à une éventuelle vie de couple - qui aurait envie de vivre avec une trentenaire autiste, agoraphobe, asexuelle et intellochiante ? - une amitié sincère ou tout simplement au bonheur.
Aucun neurotypique ne peut comprendre l'effort considérable que les gens comme moi font pour effectuer des tâches de la vie courante : faire ses courses, passer un appel téléphonique, aller chercher un colis... Tout n'est que peur et anxiété. Et lorsqu'on prend sur nous et qu'on arrive à surmonter nos difficultés, personne n'est là pour nous féliciter. Car à vos yeux, c'est facile. Pas pour nous.
Ce n'est pas l'autisme qui nous fait souffrir, mais la façon dont la société traite celles et ceux qui en sont porteurs. Comme disait Sartre : "L'enfer, c'est les autres."
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