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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Warren Ellis' Strange Killings (2002) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement publiés en 2002/2003, écrits par Warren Ellis, coécrits, dessinés et encrés par Mike Wolfer qui a également appliqué les nuances de gris.

Dans la baie de New York, sur un yacht privé, Martin Strothers, un assistant du maire, est en train de régler un petit problème au téléphone : s'assurer que l'overdose d'une jeune fille à une fête du maire ne ternisse pas sa réputation. William Gravel est à bord et il lui passe une fine cordelette au tour du cou par derrière. Il explique qu'il a été contacté par le père de la jeune fille qu'il a avait déjà sauvée quand elle avait 12 ans. Il finit par décapiter Strothers, mais il est repéré par les garde-côtes à bord de leur navire de patrouille. Il lance une grenade dans le yacht pour faire diversion, et s'éloigne en marchant sur l'eau. le lendemain Gravel est payé anonymement sur son compte en Suisse, et les nouvelles annoncent l'assassinat de Strothers par un individu en trench-coat. Gravel se rend devant la mairie pour assister à la conférence de presse du maire Frederick B. Irons. Ce dernier remercie ses électeurs, et rappelle son parcours personnel : issu d'une famille pauvre du Bronx, engagé dans l'armée pour une carrière couronnée par un haut grade, élu comme maire. Soudain 4 silhouettes vêtues de noir, avec des bottes de combat, et cagoulées, surgissent des arbres et ouvrent le feu sur le maire et ses adjoints, les tuant net. Puis ils commencent à tirer en direction des forces de l'ordre et de la foule.

Cette exécution sommaire prend William Gravel par surprise : il se dit qu'il a été déconnecté du service de renseignements électroniques du gouvernement du Royaume-Uni (GCHQ : Government Communications Headquarters) pendant une trop longue durée. Il conserve son sang-froid, laisse tomber la mallette avec les billets, et dégaine ses 2 pistolets. Il tire sur l'un des commandos, mais celui-ci esquive. Les 4 hommes identifient immédiatement Gravel mais continuent à lui tirer dessus. Ils effectuent un bond impossible le long de la façade de la mairie et grimpe à la verticale sans aide. Ils se regroupent sur le toit plat de la marquise. Gravel se demande où ils ont appris cette technique, et se lance à leur poursuite en gravissant le mur vertical de la même manière. Il s'en suit un échange de coups de feu nourri sur le toit, chacun bondissant de part et d'autre. Gravel les interroge pour savoir pour quelle raison ils le prennent pour cible, mais les commandos ne répondent pas. Ils effectuent un repli stratégique et William Gravel se retrouve tout seul, avec la police qui vient d'arriver en bas et qui voit en lui le responsable du carnage.

Pour sa quatrième aventure, William Gravel a droit à une histoire en 6 épisodes, 2 fois plus que précédemment. le lecteur se dit que Warren Ellis a eu une idée plus étoffée que les précédentes, et il note que Mike Wolfer a à nouveau apporté son assistance pour le scénario. L'intrigue mérite effectivement plus de page : William Gravel se retrouve face à 4 militaires qu'il a déjà accompagnés en tant que magicien de combat pour une mission à Bornéo 3 ans auparavant. La lecture génère un effet un peu surprenant : Gravel confronte à plusieurs reprises le commando et ils se livrent, à plusieurs reprises, à un combat chorégraphié sans que l'un ou l'autre ne soit blessé. Dans ces moments-là, le lecteur se dit que le scénariste a laissé carte blanche au dessinateur ou peu s'en faut. Ainsi les épisodes 2, 3, 4 et 6 sont essentiellement un long affrontement.

Indubitablement, Mike Wolfer a passé du temps pour concevoir les combats. Dans le premier épisode, les déplacements des 4 militaires et de Gravel se font en fonction de la géométrie du bâtiment où est installée la mairie, s'appuyant sur les murs, s'accrochant aux drapeaux en place. Dans l'épisode 2, Gravel parcourt les couloirs et quelques pièces de la mairie pour se dérober au tir de la police. Puis il faut encore échapper à d'autres poursuivants dans l'immeuble où il loge. le lecteur peut voir que l'architecture intérieure de la mairie n'a rien à voir avec celle de l'hôtel d'habitation et que les équipes d'intervention doivent adapter leur mode de progression aux espaces ouverts dans la mairie, aux couloirs étroits dans l'hôtel. Les épisodes 3 & 4 changent encore de localisation puisque Gravel et les 4 commandos se retrouvent dans une jungle à Bornéo, essentiellement une forêt. Wolfer s'amuse à faire bondir les personnages d'arbre en arbre, avec 2 passages à découvert. Il ne s'inspire pas des films d'art martiaux sino-japonais comme ceux de Zhang Yimou. Les combattants ne se déplacent pas avec la grâce de pratiquants d'arts martiaux, ils avancent plus en force, se lançant sur un tronc pour monter, passant d'une branche à l'autre par la puissance de leurs jambes et l'aide de capacités magiques, sans incantation ou effets lumineux. Dans le sixième épisode le lieu est encore différent, et la confrontation se déroule dans un bâtiment, avec une configuration présentant d'autres particularités que les deux premiers.

Dès le premier épisode, le lecteur comprend que le sergent major Gravel affronte des individus disposant également de capacités magiques, dans une mesure qui n'est pas précisée. Mike Wolfer se retrouve donc à mettre en scène ces capacités magiques, avec l'obligation de rester visuellement raccord avec des personnages se conduisant comme des militaires. Dans les 3 histoires précédentes, William Gravel utilisait plus ses compétences de combattant à main armée ou à main nue que ses aptitudes magiques, se limitant à des illusions. Ici, il doit en utiliser d'autres pour pouvoirs s'échapper ou se battre. Il commence par marcher sur l'eau, Wolfer le montrant marcher à 10 centimètres au-dessus de l'eau, sans incantation, sans geste magique. Par la suite, il traverse les murs comme il l'avait déjà fait dans le tome précédent et il grimpe prestement à la verticale. Ces actions sont montrées de manière factuelle, sans explication. Par la force des choses, le lecteur les prend en l'état, tout en se demandant si Gravel ou les commandos vont en sortir d'autres du chapeau à point nommé. Il constate que le retour en arrière de 3 ans à Bornéo n'apporte pas d'information supplémentaire sur l'origine ou l'étendue des capacités de Gravel. L'artiste en fait un bon usage, à la fois pour la chorégraphie des combats, à la fois pour la sensation d'étonnement que cela génère chez le lecteur.

Comme dans le tome précédent, le lecteur ressent que Mike Wolfer tient beaucoup à ce projet et s'y est beaucoup investi. Même s'il peut trouver que l'histoire est un peu étirée par endroit, il prend plaisir à voir les affrontements bien mis en scène et bien conçus. Côté intrigue, Warren Ellis délaisse les zombies déclinés sous une forme ou une autre, pour un récit impliquant personnellement William Gravel. Il conserve son calme, ou plutôt son flegme britannique tout du long, mais il se trouve face à d'anciens compagnons d'arme et il ne bénéficie plus de la position avantageuse d'être officieusement commandité par les services secrets britanniques GCHQ. le commando réussit à faire en sorte que William Gravel soit désigné comme le responsable de l'assassinat du maire Frederick B. Irons, et en plus il a été vu en train d'assassiner Martin Strothers. Même les responsables du GCHQ souhaitent se débarrasser de lui en le dénonçant à la police américaine. Selon toute vraisemblance, Gravel en a vu d'autres parce que cela ne l'inquiète pas plus que ça et qu'il continue à aller de l'avant, persuadé qu'il s'agit d'une opération clandestine bien tordue. Éventuellement, le lecteur peut se souvenir de la remarque sarcastique de Gravel dans le deuxième tome précédent où il évoquait pince-sans-rire l'éventualité que les États-Unis ne soit qu'une expérience sociétale pilotée par le Royaume Uni.

Indépendamment de la gestion assez lâche des pouvoirs magiques très flous de son personnage, Warren Ellis montre qu'il avait effectivement plusieurs idées, justifiant une histoire sur plus de 3 épisodes, mêmes si une partie conséquente des 3 autres est dévolue aux combats. Il y a donc un bref retour en arrière pour une ancienne mission qui laisse supposer la possibilité de développer l'histoire personnelle de William Gravel avant le temps présent du récit. Il y a cet étonnant verger aux corps qui explique où Gravel s'approvisionne en armes. Il faut le voir pour le croire, et là aussi le lecteur se dit qu'il y a matière à une autre histoire. Même s'il est en droit de supposer que Mike Wolfer est pour beaucoup dans l'inventivité des combats, le lecteur se dit aussi que quelques idées proviennent de l'esprit fertile du scénariste, en particulier le détournement de son usage d'un matériel lourd dans le combat final. Il reste surpris par le fait que Gravel ne s'embarrasse pas des dommages collatéraux. À l'opposé d'un héros traditionnel, ou même d'un anti-héros, il fonce dans le tas et abat tous ceux qui se trouvent sur passage, à commencer par les agents de police, les agents spéciaux, les fonctionnaires de police dans un commissariat, etc. C'est assez déstabilisant. Cela n'empêche pas Ellis d'inclure une poignée de moments comiques, basés sur l'humour à froid d'une déclaration péremptoire de William Gravel (par exemple quand il réclame ses pistolets alors que menotté, il subit un interrogatoire musclé dans un commissariat).

Cette quatrième aventure de William Gravel reprend les ingrédients des précédentes : intervention musclée de Gravel pour résoudre une situation conflictuelle, avec plus de combats (bénéficiant d'une excellente scénographie et d'une excellente prise de vue) et plus de magie (pas du genre spectaculaire et pyrotechnique) pour une guerre sans merci avec de gros dommages collatéraux. le lecteur a passé un bon moment, tout conservant l'impression d'un exercice de style pas complètement homogène.
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