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Critique de LeScribouillard


Je ne suis pas ce qu'on pourrait appeler un bon croyant. Métallo, gauchiste et grand amateur de littérature de genre (ainsi que de chansons grivoises), ma foi est davantage la condition de différents facteurs sociologiques que d'une réflexion profonde ou basée sur la raison : famille, église, relative ignorance des principes scientifiques...
Pourtant, il serait faux d'affirmer que le christianisme n'a jamais influencé mes choix de vie. C'est avec son désir de justice et d'entraide que je me suis tourné vers la gauche (et même l'extrême-gauche, raison pour laquelle cette critique un peu trop personnelle ne paraîtra pas sur mon blog) ; comme pas mal de chrétiens jusque dans les années 80, je me suis tourné vers le communisme assez tôt, avec tout de même nombre de critiques (aussi bien théoriques qu'historiques) qui m'ont poussé à me rapprocher des libertaires. Être anarchiste, pourquoi pas ? Seulement, la Bible ne s'y prête pas vraiment : entre se prosterner devant le Roi des Rois et l'idée qu'il faille être un minimum soumis aux autorités malgré une critique féroce et une détestation profonde, il faut encore compter les innombrables injonctions à la soumission et à la discipline (les lettres de Paul sont sans doute ce qui me donne le plus envie de devenir athée).
Arrive Jacques Ellul, auréolé d'une multitude de critiques élogieuses venant aussi bien du christianisme que de la gauche radicale. Anticommuniste (ou tout du moins critique de Marx), il possède pourtant nombre d'idées en commun avec les Rouges et considère que la Bible est en fait majoritairement favorable à l'anarchisme. Dans ce court livre, dense et passionnant, il revient donc sur différents versets prônant les idées libertaires, et dont j'avais moi-même parfois pu constater la portée. La plume est vive, très ponctuée et pleine de digressions, mais se rapprochant de l'oralité d'un cours magistral et donc loin d'être gênante ; les raisonnements sont courts, simples, souvent érudits mais jamais pédants. Dieu n'a-t-il pas désiré laisser le choix aux êtres humains ? Jésus ne s'est-il pas dressé contre toutes les autorités, y compris religieuses ?
Pourtant, force est de constater que beaucoup de doutes subsistent à la fin de la lecture. Je sais qu'il y en a quelques-uns qui m'attendent au tournant sur les vaccins, mais n'ayant pas de documentation sur celui dont il est question dans une des anecdotes, je m'abstiendrai de tout jugement. Pour ce qui est du reste, je me contenterai de soulever quelques points :
- L'islam serait la religion la plus intégriste... Mais l'immense majorité des musulmans me semble bien moins à craindre que les prêtres mayas ou aztèques ;
- Quid de l'histoire du recensement, où Dieu punit explicitement David en lui envoyant la peste ? ;
- Il n'est pas si étonnant que les textes bibliques historiques aient été si critiques envers les rois d'Israël, la plupart ayant été rédigés durant la déportation de Babylone, quand d'autres rois étaient au pouvoir ;
- Il me paraît important de préciser que le droit romain était sur différents points très contestable, comme l'idée de légitimer une guerre d'invasion ;
- Il n'y aurait pas de hiérarchie entre l'humain et Dieu... pourtant, l'Homme n'est-il pas "de peu inférieur à l'ange" ? ;
- Les guerres de l'Ancien Testament, franchement incompatibles avec l'idée de non-violence, sont qualifiées d'"embarrassantes" puis balayées d'un revers de main. Il y aurait pourtant des manières de les justifier : 1/ par pragmatisme, ce sur quoi Ellul n'est pas spécialement porté, 2/ parce que Dieu serait le seul à posséder le monopole de la violence légitime, mais ce serait contredire l'idée qu'il n'y a pas de hiérarchie entre les êtres, même avec le divin.
Il faut enfin y ajouter que la vision anarchiste présentée ici reste anthropocentrée, et même masculocentrée. L'Homme (et pas la Femme, même si c'est vrai que pour une fois, on ne l'accuse pas) ayant causé le péché, c'est toute la création qui a sombré dans le chaos : ainsi si les autres animaux se dévorent entre eux, si nous subissons les séismes ou les éruptions volcaniques, et si un jour nos descendants subiront les rayons gamma ou les trous noirs, c'est entièrement de notre faute. Pas un mot sur la possibilité que nous ne soyons pas les seuls dans L Univers, ni sur une possible âme toute aussi tangible que la nôtre chez les animaux ; pas un mot non plus sur les nombreux versets controversés de Paul à l'égard des femmes et des LGBTQ+.
C'est un crève-coeur que de ne donner que quatre étoiles à "Anarchie et christianisme". La richesse et la vivacité d'esprit de cet opuscule lui en auraient bien donné cinq. Mais les raccourcis, oublis et simplifications me forcent un minimum à réfréner mon enthousiasme. Pour autant, on est sur de la bien plus haute théologie que le tout-venant évangélique baignant dans une culture de l'excuse très à droite ; et n'importe comment, pour un coco à la foi tourmentée mâtinée d'influences kantiennes, se dire qu'il n'y a pas qu'une manière unique de faire le Bien mais que Dieu nous veut avant tout libres (y compris d'être imparfaits ou de nous planter), ça fait franchement du bien.
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