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Critique de Presence


Ce tome contient les épisodes 55 à 60 de la série Punisher MAX, les derniers. Il fait suite à La longue nuit noire épisodes 50 à 54).

À nouveau, le Punisher doit affronter les conséquences d'une de ses précédentes expéditions punitives. Les généraux qui ont commandité l'opération Barbarossa (dans Mère Russie) ont compris que Frank Castle les mettrait sur sa liste un jour ou l'autre. Ils ont tenté de l'éliminer dans "Longue nuit noire" et ça n'a pas marché. Ils abordent la question sous un autre angle en exploitant un point faible de Castle : il évite d'impliquer et de blesser les innocents. Leur plan : envoyer un groupe de 8 soldats d'élite de la Delta Force (une unité de forces spéciales de l'armée américaine) pour le capturer. Non seulement Castle ne pourra pas s'en prendre à ces individus coupables de rien, mais en plus il s'agit de soldats ayant reçu le même entraînement que lui, qui connaissent ses méthodes et qui les pratiquent. Intercalé dans chaque épisode se trouvent 4 pages de texte qui correspondent à des extraits d'un livre sur Frank Castle, écrit par le frère d'un soldat ayant séjourné dans la base Valley Forge en même temps que Castle pendant la guerre du Vietnam.

Le "Valley Forge" historique est un endroit situé à une quarantaine de kilomètres de Philadelphie. Il est resté célèbre dans l'histoire américaine pour avoir été le lieu de retraite de George Washington pendant l'hiver 1777/1778. 2.000 soldats sur 11.000 sont morts de froid, ou de faim ou de maladies sans avoir jamais combattu l'ennemi. Garth Ennis avait déjà utilisé ce nom comme étant celui de la base américaine où Frank Castle a exterminé un nombre impossible de Viêt-Congs lors de sa troisième période de service pendant la guerre du Vietnam (raconté dans Born, la toute première histoire du Punisher MAX).

Le Punisher est souvent qualifié de soldat menant une guerre sans fin contre le crime. Pour cette dernière histoire, Ennis a souhaité développer la notion de soldat, de son point de vue. le résultat est tout bonnement époustouflant. Avec l'histoire principale, Ennis renouvelle encore une fois le type d'adversaires qu'affronte Castle, la nature des enjeux et les tactiques de combats. Castle se bat contre ses pairs. Il n'y a presqu'aucun moment Ennis dans cette histoire. le récit se partage entre l'action et la réflexion sur le devoir de soldat, les obligations vis-à-vis de la hiérarchie et de la patrie (Servitude Et Grandeur Militaires en quelque sorte). Garth Ennis s'en sort bien parce que les 8 soldats de la Delta Force sont dépeints comme des professionnels chevronnés. Il n'y a pas de leçon moralisatrice sur la patrie, sur les valeurs de l'Amérique, juste des individus qui font leur métier. Seul regret : Ennis décide de dépeindre tous les soldats vietnamiens comme des monstres cruels se repaissant de la souffrance de leurs ennemis ; leur point de vue de peuple dont le territoire est envahi et occupé n'est jamais développé. Je n'ai pas compris pourquoi il avait choisi cette représentation unilatérale.

Cette histoire est illustrée par Goran Parlov. Son style a encore évolué. Il utilise de préférence une mise en pages sur la base de 4 à 6 cases horizontales (de la largeur de la page) superposées. Les traits des visages sont réduits à quelques coups de crayons réfléchis ; il ne garde que l'indispensable tout en donnant à chaque personnage des traits spécifiques et facilement identifiables. Il a encore accentué l'aspect massif de Castle, jusqu'à lui faire des biceps plus gros que sa tête. le Punisher est plus que jamais une force de la nature indomptable. Il adapte la densité descriptive des décors en fonction des besoins du scénario. Dans la scène où 2 soldats examinent le lieu d'une exécution de criminels par le Punisher, Parlov détaille chaque pièce, chaque élément pour donner la crédibilité nécessaire à l'enquête. Quand le scénario indique de se concentrer sur les dialogues, Parlov adopte des cadrages qui se focalisent sur les visages. Les scènes d'action sont d'une efficacité brutale. le tout donne des illustrations sèches et sans concession qui conviennent parfaitement à l'histoire racontée.

Et puis il y a ces fameux extraits de livre, ces pleines pages de texte. Généralement l'utilisation de ce mode narratif dans une bande dessinée provoque un réflexe de rejet immédiat de la part du lecteur. Il faut dire que ces pages de texte ralentissent la lecture, et donc la narration et que généralement un lecteur qui achète une bande dessinée ne recherche pas à lire un livre. Passé ce réflexe de rejet, le lecteur découvre des pages dans lesquelles l'auteur fictif (Michael Goodwin) interroge les personnes ayant connu son frère ou ayant participé à l'assaut donné à la base Valley Forge. Goodwin s'interroge sur le sens à donner à la mort de son frère dans les conditions qu'il relate. Sa conclusion est sans appel : la guerre est un processus qui broie les individus. Il décortique le point de départ de la guerre du Vietnam : une pseudo-attaque de vaisseau de guerre américain (une condamnation sans appel du prétexte de l'entrée en guerre des Etats-Unis, basée sur des documents rendus publics en 2005). Il réfléchit également sur ce que veut dire être un soldat pour des appelés et des engagés qui sont autant d'individus différents avec autant de motivations et d'aspirations différentes. le point de vue d'Ennis sur le processus de guerre est d'une lucidité plus terrifiante encore que les atrocités des tomes précédents. Ennis se sert de ces pages de texte pour livrer des sentiments et des sensations que la bande dessinée ne permet pas de rendre. Au final, textes et bande dessinée se complètent pour donner une vision complexe à partir de plusieurs points de vue, et sans complaisance du processus de guerre.

Avec ce tome, Garth Ennis boucle les aventures de Frank Castle en donnant un nouvel éclairage sur les événements de Born qui ont engendré le monstre inhumain qu'est le Punisher. Il livre une réflexion cynique et lucide sur le métier de soldat et sur la nature de la guerre. Derrière son apparent manque de criminel sadique (un ennemi aisément identifiable comme Barracuda ou Tiberiu Bulat), ce tome est l'un des plus noirs et désespéré de la série du fait du thème abordé (les morts inutiles des soldats, en dehors même des combats). Une fin parfaite pour le Punisher de Garth Ennis qui accède au statut d'incarnation d'une vengeance sociétale née du massacre prémédité des enfants de l'Amérique lors du conflit Vietnam, prémédité par leurs propres pères.
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