Rien dans leur chant
ne trahit
que les grillons vont mourir si vite
Basho
Au cours de la vie, on mourait déjà si souvent ; chaque fois que quelque chose changeait dans notre personnalité, même si on ne s'en apercevait qu'après coup, on disait adieu à l'individu qu'on avait été, dont on gardait des souvenirs, mais qu'on ne serait jamais plus.
il se dit que voyager vous limitait aussi ; dès qu'on arrivait dans un nouveau pays (il se rappela son premier voyage en Italie, en Irlande) toutes les attentes étaient immédiatement réduites et rognées comme si, en vertu d'une loi implacable, l'imagination et la réalité devaient demeurer deux mondes complémentaires.
les voyages avaient ceci de magnifique qu'ils nous faisaient voir comment tout évoluait progressivement : les gens, les journaux, les maisons, les trottoirs et finalement la nature elle-même; les arbres, les odeurs, la lumière.
L'oeil n'est jamais rassasié de voir.
Selon une chanson de jadis (...) la vie vous montre toujours sa face non rasée.
Il découvrit que dans la bonne société il n'était pas inhabituel de couvrir de compliments quelqu'un qui était ficelé comme l'as de pique ou au contraire trop bien sapé et ainsi de le ridiculiser aux yeux des initiés.
peu importait où on se trouvait, on sentait chaque endroit se mettre en mouvement dès qu'on le regardait vraiment, dès que l'attention s'y penchait comme sur une fourmilière, on sentait bourdonner et frémir le monde continuellement effleuré par... par le temps, oui, sinon par quoi d'autre ? Et qu'est-ce qui faisait bouger le temps ? A moins que tout (Paul lui-même, les étourneaux, les Anglais qui, avec une unanimité solennelle, saisissaient leurs parapluies noirs et leurs attachés-cases, maintenant qu'une rame entrait en gare) ne fût poussé en avant, tandis que le temps, lui, restait immobile ?
Paul était persuadé qu'ils avaient ceci en commun : un désir de se plonger dans la lumière et l'air pur, de mettre son corps sous haute tension et d'éprouver jusqu'à la moelle des os que l'on était vivant ; expérience qui n'était nulle part aussi intense que dans un décor de montagnes - peut-être parce qu'il rendait plus concrète la fragilité dérisoire de l'individu et vous faisait sentir, à chaque fois, que vous ne seriez jamais rien de plus qu'un spectateur importun.
L'autre vous échappe, se dit-il, dès qu'on vit ensemble, et votre propre vie vous échappe avec la venue d'un enfant ; tout se brouillait, du fait qu'on voyait aussi bien sa propre jeunesse à travers quelqu'un d'autre que soi-même, tel qu'on était aujourd'hui. Ainsi on était en permanence confronté au passage du temps.