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Critique de Winslow54


La première chose qui frappe une fois la lecture de ce tome achevée, c'est son incroyable densité ! J'ai, en fait, presque l'impression d'avoir lu plusieurs livres, le nombre de thèmes, d'arcs narratifs (et leur ampleur) étant assez ahurissant.

Dès le prologue, on comprend qu'avec ce volume, Erikson semble vouloir lever une partie du voile reposant sur les zones d'ombres de son cycle, mais aussi sur son envergure démesurée. Les premiers chapitres des Jardins de la Lune couvraient une période de 10 ans. Ici, c'est 300 000 ans !

Cette envergure pourrait effrayer, pourtant, bien au contraire, tout le début des Souvenirs de la Glace va en partie se concentrer sur le fait d'expliciter les enjeux du récit global et de son univers (les garennes, l'ascendance, les maisons Azath, cela principalement via Paran et Renarde Argentée). À mon sens, c'est en réalité le tome le plus limpide depuis le début du cycle, et qui clarifie même bien des points obscurs des 2 livres précédents.

D'ailleurs, un léger bémol à ce niveau (qui ne concerne fort heureusement que de rares cas) : le parti pris d'Erikson (de plonger le lecteur dans des scènes parfois uniquement compréhensibles rétrospectivement) montre parfois ses limites dans certaines de ces révélations, ou plutôt leurs mises en scène.
En effet, certaines des révélations (du fait de leur complexité) se limitent parfois à un simple dialogue d'exposition « pourquoi, comment » entre 2 personnages.
J'ai tendance à préférer quand ce type de révélation est directement imbriqué dans récit, de manière organique, dans l'action. Ou alors quand Erikson parvient à nous faire reconstituer le puzzle par nous-même, sans qu'un dialogue explicite clairement quoi que ce soit. C'est heureusement le cas, la plupart du temps.

C'est ensuite un réel plaisir de retrouver les Brûleurs de Ponts et leurs antagonistes du premier tome, désormais alliés. Je suis en général bon client des histoires d'ennemis qui se retrouvent forcés à faire alliance, du fait des circonstances, et celle-ci est particulièrement bien menée.
Cette rencontre forcée entre les deux camps va donner lieu à une succession de scènes mémorables (que ce soit par leur tension, la justesse des relations et interactions, voir l'humour de certaines situations), le tout admirablement bien servi par le casting quatre étoile mis en place par Erikson (réunir sous une tente des personnages tels qu'Anomander Rake, Mésangeais, Dujek, Caladan Rumin, Ben le Vif, Kallor, Kruppe, Renarde argentée, et bien d'autres, crée nécessairement un cocktail détonnant).

Surtout, cela va permettre à Erikson de déployer une histoire aux multiples arcs et thèmes, qui m'ont pour le plupart pris aux tripes à un moment ou un autre.

Car, les Souvenirs de la Glace, a été, me concernant, un tourbillon d'émotion.

C'est toujours aussi décomplexé, donc on passe du rire à l'horreur pure, de la poésie et des considérations historico-philosophique (le passé et le point de vue d'archéologue de l'auteur sont, selon moi, une des grandes forces de la saga) aux scènes grivoises ou directement sorties de la fantasy bad ass la plus régressive et jouissive.

Et encore une fois, la densité et la richesse de livre sont saisissantes !

Il n'y a quasiment aucun manichéisme dans cette histoire (à l'exception de quelques crevures ou fanatiques que l'on va adorer détester). Que ce soit du côtés des « bons » ou de leurs opposants, Erikson construit constamment des personnages complexes. Les plus admirables ne sont pas exempt de défauts, de parts d'ombres, ou d'actes discutables (voir pire). Leurs antagonistes ont des mobiles qui demeurent généralement compréhensibles, une histoire nous permettant de saisir leur personnalité et actions, ou bénéficient au moins d'une scène qui nuance notre jugement.

D'ailleurs, maintenant que la menace de la saga est enfin révélée, je dois dire que je la trouve vraiment brillante. Ce n'est, ni plus ni moins, que la brutalité, le chaos et l'horreur de l'existence que nos héros doivent affronter.
À ce niveau, les Tenescowris (l'armée de paysans fanatiques et affamés du Pannion) en est sans doute l‘image la plus sidérante, offrant au livre ses moment les plus cauchemardesques et horriblement stupéfiants (comment stopper une armée issue de la misère et de la famine).

J'adore les idées développées au sujet des dieux et de l'ascendance : où les croyances sont plus ou moins les mêmes depuis l'aube des temps, évoluant quelque peu ou ressurgissant au gré des êtres (souvent des mortels devenant des mythes) qui prennent possession de leurs trônes et deviennent des dieux (encore une fois, je pense que le point de vue de l'archéologue n'est pas étranger à la richesse de cette symbolique).

Le livre paraît vouloir dresser le portrait sans concession de ce qu'il y a de pire, mais aussi de meilleur dans l'existence humaine (même s'il faut avouer que le premier aspect surnage quelque peu par rapport au second). Opposés aux horreurs du Pannion, nous avons droit à de superbe récit d'amitié et d'humanité, à de magnifiques histoires d'amours et à des actes d'une incroyable noblesse.

Erikson excelle une nouvelle fois à conférer un souffle épique à ses scènes d'action. La siège de Capustan me restera longtemps en mémoire. J'ai rarement lu une bataille arrivant à ce point à me faire ressentir le sentiment d'horreur absolu, d'apocalypse, de chaos de fureur et de sang d'un champ de bataille. Où même les actes de courage sont empreints de barbarie.
Cela m'amène d'ailleurs à deux grosses réussites du roman : Grognard (un personnage d'emblée mythique à mes yeux, qui personnifie toute l'ambivalence de la guerre ) et les épées grises. Je ne pensais qu'Erikson arriverait à m'intéresser autant à ce groupe de mercenaires. La palme revenant sans hésitation à Itkovian, dont le portrait et le récit sont à mes yeux incroyablement beaux et touchants (l'une des histoires les plus fortes de ce tome).

La bataille de Capustan aurait d'ailleurs pu être le final du roman (on est à bout de souffle lorsqu'elle s'achève) et pourtant Erikson choisit de continuer, amenant son histoire dans des directions étonnantes. Certains pourront y voir un ventre mou, pour moi, cette partie et ce qui s'y passe prend tout son sens rétrospectivement, une fois que l'on a pris en pleine gueule l'uppercut des 100 dernières pages !

Car le final est dantesque, mais aussi et surtout dantesque émotionnellement !

Et avec tout ça, je n'ai même pas réussi à évoquer la mémorable apparition des terribles K'Chain Che Malle, Dame Envie et ses incroyables Segulehs, le récit de la naissance de Brûleurs de Ponts, les T'lan Imass qui passent de la typique armée de morts vivants à un peuple dont l'histoire est terriblement tragique, de la mhybe (cette mère qui doit accepter de se laisser dévorer par son enfant, et qui trouve un parallèle, une opposition thématique étonnante avec l'histoire de la matriarche K'Chain Che Male, mère à l'amour abusif et destructeur (physiquement et psychologiquement)), le dilemme de Caladan Rumin, le portrait des Tiste Andii et de Rake qui gagne en profondeur (êtres à la recherche d'idéaux illusoires afin de supporter leur existence sans fin), des dieux barghast ou de l'incroyable combat de Gogues pour être accepté par les clans, et j'en passe. Un livre énorme à tous les niveaux !

Pour le moment le livre ne me sort pas de la tête. Certains personnages sont entrés dans mon panthéons personnel des personnages cultes de la pop culture, même chose pour nombre de scènes marquantes.

Et cet épilogue désenchanté et mélancolique…

Brûleurs de Ponts, premiers entrés, derniers sortis ! Et dire que ce n'est que le troisième livre du cycle !
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