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Critique de 5Arabella


Publié en 2008, Les années sont un texte long pour l'auteure (250 pages) : elle passe en effet en revue toute son existence, de la naissance, et même d'avant (la mémoire familiale) jusqu'au début du XXIe siècle. Trois sortes de narration coexistent dans le livre. La première, la moins utilisée, qui n'intervient qu'au début et à la fin, consiste en une énumération, de moments, d'images, de personnes. Par la suite le livre oscille entre un récit à l'imparfait, qui utilise le nous ou le on, et qui détaille des événements, des pratiques sociales et culturelles, des normes, un monde en permanente mutation, fait de moments, il s'agit de traquer les marqueurs d'une époque qui vont la faire revenir, la rendre sensible et des sortes d'arrêts sur image, dans lesquels à partir de photos puis aussi de films concernant l'auteure, dans lesquels elle tente d'évoquer un moment de sa vie, en utilisant dans la narration, « elle » au lieu du nous et on. Les souvenirs d'une génération alternent avec des « arrêts sur mémoire » propres à l'auteur elle-même. le tout dans une approche relativement impersonnelle, distanciée.

La mémoire est donc le matériau essentiel du livre. Une mémoire à la fois collective, celle d'une génération, y compris dans les rapports qu'elle entretient avec la mémoire de la génération qui l'a précédée, et individuelle, celle d'Annie Ernaux, qui n'est au final qu'une représente parmi d'autres des gens qui ont vécu à la même époque dans une position sociale comparable à la sienne. L'auteure se place en retrait, se donne le statut d'une figure non singulière, et décrit une vie qui la dépasse qui n'est pas seulement la sienne. A travers le parcours d'une femme ordinaire, c'est le parcours d'un groupe qui prend vie. Annie Ernaux a utilisé pour qualifier son approche (pas seulement dans ce livre) « d'auto-socio-biographie », d'autres ont évoqué une « auto-ethno-biographie ». le moi baigne dans un monde social qui le dépasse, la voix du sujet est aussi la voix du monde, et l'individu ne peut s'extraire de son monde social, ne peut aller chercher une illusoire identité affranchie du contexte dans lequel il évolue. Les identité socio-culturelle, professionnelle, sont des identités authentiques du sujet. Chercher à se connaître, tenter d'élucider le soi, doit tenir compte du contexte social ; le soi se trouve quelque part à l'intersection d'un moi intime, et d'un moi social, c'est un soi éclaté, entre ses différents états et ses différentes identités. D'où des textes hybrides, qui essaient d'approcher une forme de vérité, entre littérature, histoire, sociologie.

Le temps d'Annie Ernaux est aussi fragmenté que le soi, il avance par vagues, il faut refuser la fausse sensation de stabilité, de continuité, il faut plutôt tenter de saisir la matière du temps, le flux du temps en soi.

Le tour de force, c'est que malgré la mise à distance, la mise en retrait revendiquée par l'auteure, et une construction qui peut paraître très cérébrale, le livre puisse sembler sensible, produire une émotion. Parce que les moments qu'évoque Annie Ernaux sont des moments partagés, qu'une forme de complicité peut s'établir autour d'eux, qu'on peut s'y reconnaître. Et que malgré tout, elle n'est pas si extérieure à ce qu'elle écrit, par exemple une sorte d'ironie, de mise en cause, de questionnement de ce qui paraissait être évident à une époque, est là, indubitablement. Aussi discrète soit-elle, une prise de position. le choix en lui-même de tel ou tel élément ne peut être neutre, et dessine aussi une personnalité, des opinions, des valeurs, qui ne sont pas que ceux communément partagés. Enfin son talent, son écriture, transforment tout cela en quelque chose d'unique, qui n'appartient qu'à elle.
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