Citations sur L'espérance d'un baiser (30)
Malgré quelques rayons de soleil, les cinq années qui suivent la fin de la guerre ont été difficiles. Des ombres s'installent qui ne nous quittent plus et avec lesquelles nous devons apprendre à composer. Nous cheminons avec la mémoire du camp. Elle a épousé notre présent. La suite de l'histoire, en quelque sorte.
Sans la moindre goutte d'eau, inéluctablement la mort intervient au moment où notre corps ne peut plus apporter de force à l'esprit. Mort horrible.
Être néant mais être néanmoins ; encore un peu. Dans la "société mortuaire" d'Auschwitz, nous sommes des condamnés, des êtres-à-tuer, des non-êtres. Cette espèce d'existence désespérante, sans avenir, dont la seule perspective est la mort, ouvre sur l'idée du suicide. Pourtant ils sont rares. Durant onze mois dans ce camp, j'en entends parler trois ou quatre fois "seulement". Il s'agit d'électrocutions sur les barbelés, un des seuls moyens.
On le sait, les conditions extrêmes agissent comme un révélateur. Des êtres sans grand relief dans notre vie courante apparaissent lumineux de grandeur, de coeur et d'esprit lors de conditions exceptionnelles. En situation de survie, l'homme est vrai.
Ici, chacun de nous est à nu, le vernis de l'homme est décapé, apparaît le fond, qui structure l'individu, dans sa grandeur et sa bassesse, dans la bestialité de ses instincts. Les différences de statut social issues de l'argent, du savoir, de la culture, de la religion ont disparu. Ici, seul le caractère inné de l'homme demeure face à la mort omniprésente, l'homme est vrai.
À "l'appel", nous sommes comptées, recomptées. Un véritable enfer qui fait mal. Debout, la tête droite, ne pas parler, ne pas bouger jusqu'à la fin des comptes interminables qui doivent confirmer que toutes, mortes ou vivantes, sont présentes. le grand comptage de "l'appel", impossible, ubuesque, douloureux, enregistre le mouvement de la vie vers la mort.
Ce livre si riche parmi tant d'autres, m'excite à le relire encore.
Ma colère est absolue : à cet instant, je veux survivre plus que jamais pour dire au monde ce que des hommes sont capables de faire à d'autres hommes.
La mort omniprésente est collée à notre corps, à nos pensées, à notre mode de vie. Il faut être aux aguets pour tâcher d'éviter le pire et s'y préparer aussi.
Le risque d'infection est écarté. J'ai de la chance car les petites plaies, dans la crasse où nous devons vivre, peuvent rapidement devenir purulentes, suivies de mort "naturelle".