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Critique de harvard


Marie France Etchegoin aime Marseille, et le fait savoir dans ce très beau récit, « Marseille le roman vrai », documentaire écrit avec allure, comme un roman dont le vivacité pourtant ne trahit pas la réalité, mais la restitue dans tout son jus, ses invraisemblances, son folklore, tournant autour de la classe politique en place, avec deux points de fixation les quartiers nord HLM et les beaux quartiers de la Corniche au Sud, deux mondes, deux paysages antinomiques, pourtant irrigués par le même milieu corso-marseillais tant politique que mafieux. Marseille est parcourue par trois fléaux, le clientélisme, la corruption et le localisme où chaque édile gouverne dans son pré carré avec pour seule ambition de persévérer dans son être.

Il est évident que nous ne regardons pas la même ville et en avons une approche tellement différente. MF Etchegoin journaliste au monde, m'avait dédicacé son livre, « espérant vous faire à nouveau aimer Marseille ». Manque de bol, son beau et talentueux « roman » n'a pas produit l'effet escompté, mais plutôt conforté dans ma distanciation aggravée avec une ville qui pourrit sur pieds depuis presque quarante ans, une Canebière envahie par une économie de bazar qui dès 20 heures sonne le couvre feu, où l'Hotel de police a investi le grand Hotel Noailles, où les librairies ferment, ne restant cours Julien que des irréductibles libraires post soixante huitard convertis dans la lecture militante, et payés presque au smic.
Où le bar de la marine n'est qu'une aimable fantaisie littéraire. Où le Panier, ventre des dockers, est devenu une carte postale ripolinée pour « Plus belle la vie »
Marseille souffre depuis très longtemps, MF Etchegoin en fait une cour des miracles dont le rare mérite est d'attirer le chaland, le touriste qui flaire le pittoresque et le graveleux. Marseille est bonne pâte extravertie, colorée, pagnolesque, foisonnante, ouverte au monde méditerranéen. Seulement notre journaliste reconnaîtra page 22 que « la bonhomie de la ville n'est qu'un masque »

On peut l'aimer ainsi et faire l'inventaire sévère de la corruption politique, où les frères Guérini encarté au PS font régner leur loi, pour finir par une visite des locaux de police pour association de malfaiteurs, où les Gaudins et consorts trafiquent petit bras pour s'assurer des rentes de situation, où les quartiers populaires livrés au trafic de drogues n'ont jamais connu la guerre des banlieues de 2005, « le shit contre la paix sociale ». Maintenant on comptabilise chaque mois les « barbecues », les morts d'ado abattu à la Kalach. Jean Noel ( Guerini) ex Président du Conseil Général ne manque aucune messe du dimanche, et « monsieur son frère » (Alexandre Guerini) truste l'industrie des poubelles avec quelques petites entorses à la loi des marchés. Ces petits méfaits s‘autorisent en toute innocence, la force de l'habitude, avec une belle gueule d'ange qui va à confesse, mais attention, accent compris, « quand je souris, c'est grave », dixit monsieur frère. Histoire de pieds niquelés peut-être pour cour des miracles, mais cette société interlope se pare des plumes vertueuses de l'intérêt général.

Nous ne pouvons ici répertorier la somme incroyable de faits, incidents délictueux , relevés par notre talentueuse reporter, la masse de documents touchant une classe politique qui fait de la corruption un sport régional décomplexé. Remake de « Main basse sur la ville »
M.F. Etchegoin fait revivre quelques sympathiques et déjantés voyous Kamel, Nono …. des quartiers nord, abonnés à des visites de courtoisie au commissariat, avec parfois une réservation labellisée, initiatique pour un postulant au caïdat, à la prison des Baumettes, et pour qui OK Corral est une aimable bluette. La Kalachnikov est ici un petit pare feu, assez prisé, qui aligne sans vergogne les cercueils de la misère. Elle restitue avec finesse et vivacité la chronique d'une vie sociale qui se tisse en contraste entre la cité HLM, La Castellane des quartiers Nord, où Zidane a fait ses premières armes, et le prestigieux CNM qui comptabilise autant les médailles d'or, que les fréquentations assidues du tout venant friqué qui flirte avec la politique.
Par les yeux du Commissaire, elle voit « dans le ventre de Marseille, comme une planche d'anatomie reproduisant les organes internes du corps humain … un réseau complexe de passerelles, de connexions, de liens de subordinations ou de domination traversant les origines et les classes. C'est tel élu de la République qui s'appuie sur les caïds de quartier pour gagner des voies. Ce sont des bourgeois qui crachent sur les maghrébins mais n'hésitent pas à faire des affaires avec eux dès qu'ils sortent du cash. Ou les agent de footballeurs qui fraient avec le milieu….. » Inventaire impressionnant qui fait la chronique ordinaire d'une ville qui ne l‘est pas.

La scène panoramique de Marseille n'est pas triste. Des réussites sont certes avérées, avec ce melting-pot, ce brassage bouillonnant des populations méditerranéennes qui cohabitent, l‘effervescence d‘une culture bigarrée très sudiste. MF Etchegoin la compare à New York.
On peut l'aimer avec indulgence et passion comme M.F. Etchegoin, et son livre est éloquent, on peut aussi vouloir la fuir. Reste donc ce livre qui plonge en eaux profondes parfois nauséeuses, et reste une vraie réussite, bien qu'il ne soit semble t-il pas un sucés de librairie, mais dont la sincérité, la rectitude, la grande rigueur journalistique et le talent narratif relève d'une belle écriture.
Si MF Et éprouve une grande faiblesse pour Marseille, la mienne se déporte uniquement pour ce grand livre où la ville est plus qu'une fable.





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