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Citations sur Hôtel rouge (3)

Le Souffle. – Mais il y a des photos qui disent tout autre chose.
La Voix. – Tu parles. Des photos de famille harmonieuses, on en trouve même chez les monstres.
Le Souffle. – Mais ne ressens-tu pas la moindre indulgence envers eux ?
La Voix. – Tu sais, l’autre face de l’indulgence, non son contraire, c’est la haine qui n’a ni voix ni visage, qui vit, qui persiste, pourvu qu’elle s’accumule.
Le Souffle. – Et… ça te mène où, de thésauriser la haine ? Dépense-là, à la fin, partage-la.
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Le Souffle. – Mais pourquoi ce déchaînement de rage ? Vu que de toute façon, ta vie à toi n’a jamais été comme ça.
La Voix. – Oui, mais c’est ainsi qu’ils voulaient que je sois, c’est ce qu’ils essayaient de faire de moi. Sauf lui.
Le Souffle. – Mais ils n’y sont pas parvenus.
La Voix. – Pas tout à fait, mais ils m’en ont fait voir de toutes les couleurs, ils m’ont mutilée.
Le Souffle. – Comment ça ?
La Voix. – Le résultat, ce que je suis devenue, c’est un être totalement bâtard.
Le Souffle. – Une enfance inachevée, d’un côté surarmée, de l’autre complètement désarmée.
La Voix. – Oh, comme c’est mignon ! La femme-enfant des surréalistes ! Si au moins j’avais été cette femme-là, ce pourrait être l’aspect sympathique des choses. Ce n’est pas de ça dont je parle. Pas avec ces mots-là.
Le Souffle. – Avec lesquels alors ?
Les Oreillyeux. – Un visage sans visage, vide en son centre, demeure en elle, insistant, prisme oblong, aveuglant. Un visage qui se désagrège tandis qu’elle franchit cette béance mouvante qui sans cesse les sépare et se dissout comme un nuage dans un ciel pur. Un visage de la distance qui n’occupe plus de lieu visible. Elle est de nouveau coincée. De nouveau des pensées désordonnées, confuses. Elle essaie d’en isoler quelques-unes, de les élaborer, d’en faire des mots. Révolution et irrésolution, force et lâcheté, hésitation, recul, altérité et adaptation, intégration, etc. etc. Rien de tout cela. Et toujours ce sentiment qu’une caméra espionne le moindre de ses mouvements et qu’il faut la déjouer, lui échapper.
La Voix. – Je ne sais pas, les mots me font défaut. Toutes les pensées qui ont laissé la porte à demi ouverte ou à demi fermée, peu importe, et qui ont engendré de petits monstres inadaptés.
Le Souffle. – Ne sois pas trop impitoyable avec toi-même. Pourquoi en rajouter à leur dureté à ton égard, ça ne te suffit pas ?
La Voix. – Et moi qu’est-ce que j’ai fait de tout ça, tu peux me le dire ? Je me suis rogné les ailes toutes seules et je me suis retrouvé le cul entre deux chaises, à transformer les dix-huit en vingt sur vingt sur le bulletin scolaire pour ne pas qu’ils fassent la tête et me privent de mes minables bénéfices.
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Le Souffle. – Et l’école, c’était aussi une chambre close ?
La Voix. – Cette école-là, la première, non, pas du tout. C’était une oasis avec ses bédouins, ses chameaux et…
Le Souffle. – Qu’est-ce que c’est, ces souvenirs ?
Les Oreillyeux. – Elle va parler du handball, du jeu de billes où elle jouait avec les deux ou trois garçons qu’il y avait à l’école de filles, du football, de son écriture déplorable et de ses fautes d’orthographe, de la rédaction sur le thème Racontez comment s’est déroulée votre excursion à Kriekouki, elle n’avait écrit qu’un seul mot sur son cahier : Bien, et elle avait eu zéro, elle va dire qu’elle était bonne en dessin et qu’un jour d’un seul coup en 6e elle a arrêté de dessiner mais elle ne dira pas pourquoi, elle va parler du grand écart et qu’elle rêvait de devenir acrobate ou contorsionniste, elle va se souvenir du loukoum à la rose, du pain au sésame et des fromages en forme de triangle, des cahiers qu’il fallait recouvrir de papier bleu et sur lesquels il fallait coller une étiquette, de ses cahiers qui étaient de vrais torchons, peut-être qu’elle va parler de Dolly et de ses premiers émois érotiques, des bonnes notes qu’elle devait rapporter en guise de monnaie d’échange, elle se souvient qu’elle courait dans la rue pour échapper à Clio qui l’accompagnait, de son opération de l’appendicite, de l’anesthésie qu’elle a adorée, de sa surprise quand elle a entendu l’écho pour la première fois, un jour, pendant une sortie scolaire, de l’exhibitionniste en face de chez elle, dès qu’elle rentrait de l’école, elle courait à la véranda pour le regarder, et de sa tristesse quand il a disparu, elle ne dira rien de ce que c’est que d’attendre que quelque chose ait lieu et que cela n’advienne pas, de son désespoir quand elle a compris qu’elle ne plongeait pas le monde dans le noir quand elle fermait les yeux, elle parlera peut-être des pages du livre de catéchisme qu’elle jetait dans les toilettes, de…
La Voix. – Stooooop, ça suffit !
Le Souffle. – Mais qu’est-ce qui t’a pris, subitement ?
La Voix. – Il m’a pris que tout ça, ce sont des inventions pour contes de fée, alors que les vrais souvenirs d’enfance, ça n’a rien d’un rêve, c’est tout le contraire.
Le Souffle. – Un cauchemar, tu veux dire ?
La Voix. – Non, non, un village lointain rempli de tours et de détours, voilà ce que c’est, sans aucune carte pour t’orienter. Une imbrication de choses dont on ne parle pas, une imbrication de nuits.
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