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Critique de jovidalens


Que ce livre est terrible ! J'ai dû en interrompre par moment la lecture, prise d'un véritable vertige dans cette descente infernale, comme si l'auteur m'emportait sur un véhicule sans frein, pris de vitesse sur une pente verglacée...

L'écriture est maîtrisée, claire, si claire, et si sombre.
Quoi qu'il décrive - et avec quelle virtuosité - le trait est juste, le regard tolérant et presque tendre, même dans la pire bassesse (et là, il suffit d'un mot pour y basculer). Aucun mépris et beaucoup d'empathie envers ces pauvres hères, rebus de la société.

Un homme nanti, notable qui se repaît d'appartenir à la "bonne société" de sa petite ville va sombrer dans l'alcool.
Qu'a-t-il fait pour mériter cette vie facile ? Naître dans une "bonne famille", faire de "bonnes" études, et surtout épouser une femme compétente et discrète qui a hissé son entreprise à un stade florissant. La renvoyant dans ses foyers, lui, le mari qui essaie de la maintenir dans un état de soumission, il va, par son incompétence et son apathie, perdre un juteux marché. Par lâcheté, il n'osera l'avouer à sa femme et découvrira l'alcool. Commence alors sa dépendance et sa chute dans l'ignominie.

C'est un récit autobiographique, et l'auteur décrit l'alcool comme un magicien, qui illumine une vie ressentie un peu terne. Tout est possible grâce à l'alcool, et surtout, on peut se croire très malin, irrésistible de charme et d'intelligence. Sauf que…

Le roman s'articule en deux parties : si la première décrit la vie du héros Herr Sommer, et le processus par lequel il devient un ivrogne patenté, la seconde partie, le montre, plongé dans un monde dont il ne connaît rien : celui des prisons et des hôpitaux pénitentiaires.
A ce sujet, le choix du patronyme Herr Sommer (Eté) est complètement adapté à sa vie de notable. Mais, est-ce un hasard, si Herr Sommer rencontre un certain Herbst (Automne) dans l'hôpital psychiatrique ?

Ce qui frappe à la lecture, c'est l'inconséquence de cet homme, qui prend toujours les mauvaises décisions, qui est incapable de se contrôler, qui ignore avec suffisance et naïveté tous les conseils avertis. Il s'illusionne beaucoup plus sur lui-même que sur les autres.
Dans la description de ses codétenus, il est lucide, sans jugement sur les brigands, meurtriers, déséquilibrés qu'il rencontre. Sa lâcheté et son instinct de survie lui permettent de trouver sa place dans la hiérarchie sociale de ces lieux d'enfermement.
Et puis aussi, il apprécie de ne rien faire, de se laisser porter. Il découvrira, en prison, le bonheur et la sérénité qu'apporte la satisfaction de réaliser un travail humble et bien fait.
Les actions d'envergure, il n'est capable de les concevoir qu'en rêve ou sous l'emprise de l'alcool.

Malgré tout, le personnage est attachant : par sa faiblesse, sa naïveté et son immaturité. A la fois il comprend les mondes dans lesquels il évolue, il s'y adapte avec une certaine efficacité mais son autosuffisance le fait se complaire dans une irréalité. Il appartient aux rêves, aux illusions, et l'alcool consommé vite et à fortes doses est la clé d'accès à ces mondes.

Mais il est agité par une passion : sa femme.
Ou il la haït et construit dans sa tête les scénarios les plus fous, les plus échevelés pour s'en venger ou il se répand en tendresse et mots d'amour quand il a besoin d'elle.
A l'inverse, sa femme avec sa douceur, sa fermeté et son dynamisme saura réaliser sa vie, alors que lui la perdra au fond d'une cellule.
Incapable d'accepter, de reconnaître la vérité énoncée par le médecin « votre femme, dans votre couple, est celle qui mène et qui domine. Elle a été votre bonne étoile ; lorsque vous vous êtes détourné de votre femme, tout s'est retourné contre vous. Habituez-vous plutôt à l'idée que votre femme ne veut vraiment que le meilleur pour vous, soumettez-vous un peu à elle…». Je pense que cet aspect du roman est aussi important puisqu'écrit en 1944. A l'époque, on ne demandait aux femmes qu'être des ménagères, et, sauf erreur de ma part, ce devait être embarrassant pour un notable de reconnaître cette autre dépendance, celle aux compétences de gestionnaire de son épouse.
Cet assujettissement de fait à sa femme il s'y dérobera par son addiction, voluptueuse et sensuelle à l'alcool.

Et c'est un hymne au pouvoir de l'alcool qui termine le roman.
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