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Critique de pgremaud


Je me suis souvent posé la question : « Qu'est-ce que je ferais face à un régime totalitaire ? » Ce roman de Hans Fallada nous présente un éventail de réponses données par les habitants du même immeuble de Berlin. Pour l'écrire, Fallada s'est inspiré d'un couple qui a vraiment existé. Otto et Elise Hampel ont distribué environ 200 cartes pendant 2 ans suite au décès du frère d'Elise lors de l'invasion de la France. Ils ont été arrêtés en octobre 1942 suite à une dénonciation et exécutés le 8 avril 1943. En 1989, une plaque commémorative a été placée sur l'immeuble reconstruit à l'endroit où ils habitaient. Fallada a pu se procurer le dossier de la Gestapo les concernant.
Revenons au roman : tout commence lors d'une journée de mai 1940,alors que l'on fête l'entrée de l'armée allemande à Paris. On y découvre une société où le parti nazi contrôle tout et impose sa propre hiérarchie partout : dans les usines, dans les administrations, dans la police. Face à cette omniprésence, comment réagir ? Il y a les profiteurs, les mouchards, les silencieux, les convaincus... On fait connaissance avec des représentants de toutes ces catégories. La narration avance à la manière d'un feuilleton, par petits épisodes resserrés dans le temps, avant de passer à une autre période, plusieurs mois plus tard. Dans ces épisodes, on voit avancer parallèlement le destin de chacun des protagonistes.
Otto Quangel devient un résistant malgré lui. Jusqu'à ce jour où il apprend la mort de son fils, il s'est tenu en marge du système nazi pas forcément pour des raisons politiques. D'abord parce qu'il n'a pas envie de payer une cotisation au parti nazi, mais aussi parce qu'il se rend compte que ce parti qui prône la justice sociale est source d'iniquité pour tous ceux qui ne pensent pas comme lui et qu'il récompense les incapables ou les paresseux uniquement parce qu'ils en sont membres. le jour de la mort de son fils, après avoir rencontré sa fiancée qui fait partie d'une cellule embryonnaire de résistance, il se dit que lui aussi peut résister à sa façon à ce régime : il va écrire des cartes où il dénoncera les mensonges d'Hitler et de son parti. Quand il parle de ce projet à sa femme Anna, elle le trouve dérisoire car elle attendait de grandes actions, ou même un attentat contre Hitler. Mais elle le suit dans ce projet et même si elle est assez réticente au début, elle y prend une part toujours plus grande.
Inexorablement, je sentais venir le moment où Otto et Anna allaient être arrêtés par la police. J'ai été aussi saisi par la détresse d'Otto quand il se rend compte que ses cartes n'ont eu aucun effet. L'immense majorité d'entre elles ont été apportées à la police et elles n'ont pas provoqué la révolte, mais seulement la peur. Une seule personne est touchée par l'action d'Otto et de sa femme : c'est le commissaire Escherich. Après avoir mis toute son énergie à les arrêter, il se rend compte que sa mission de policier n'a plus aucun sens dans cette société dominée par les nazis et il se suicide.
Le destin d'Escherich illustre bien le titre original du livre, « Jeder stirbt für sich allein » : chacun meurt pour lui seul (traduction littérale). Mourir seul, c'est ce qui se passe pour de nombreux autres protagonistes de l'histoire : Karl Hergesell meurt en prison de ses blessures ; sa femme Trudel se suicide ; Otto qui pensait choisir le moment de sa mort meurt guillotiné avant d'avoir pu se suicider ; Anna enfin meurt dans son sommeil lors d'un lâcher de bombes.
Si lutter seul a peu de poids face à la puissance de la barbarie nazie, c'est finalement cette lutte qui rend son humanité à Otto. Quand il est dans le monde où l'être humain n'a plus de place, en prison, c'est là qu'il devient pleinement humain. Toute sa vie, il n'a pensé qu'au travail bien fait qui était la seule source de son bonheur : une armoire bien sculptée le remplissait de bonheur. Quand il est en prison, grâce au docteur Reichhardt, il découvre la musique, puis le jeu d'échecs. Tout en étant séparé de sa femme, il pense à elle et à sa vie quand lui sera mort. Quand ils ont l'occasion inespérée de se rencontrer au début de leur procès, ils vivent sans doute un moment d'intimité plus fort que ceux qu'ils ont eus dans toute leur vie.
La fin donne une lueur d'espoir comme le dit Fallada lui-même : « Cependant, nous ne voulons pas fermer ce livre sur des images funèbres : c'est à la vie qu'il est dédié, à la vie qui sans cesse triomphe de la honte et des larmes, de la misère et de la mort. » Nous quittons ce roman sur la naissance d'une nouvelle famille : Eva Kluge, la mère qui avait fui sa vie d'avant à cause des atrocités commises par son fils, recrée une famille avec Kuno-Dieter Borkhausen, le fils qui a fui son père et ses misérables magouilles. Au fond, c'est peut-être eux les véritables héros du roman. du reste, leur vie présente un certain parallèle avec celle de Fallada qui se réfugie hors de Berlin dès 1933 et qui passe ainsi toute la période nazie en marge de la vie politique.
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