L'émission Une vie, une oeuvre, produite par Matthieu Garrigou-Lagrange et diffusée sur France Culture, était consacrée le 26 janvier 2013 à la figure de l'écrivain allemand, Rudolf Ditzen (ou Hans Fallada de son nom de plume). Par Laurence Courtois. Réalisation : Charlotte Roux. Avec Hans Fallada il sagit dune vie intimement mêlée à l'histoire de l'Allemagne du début du 20e siècle, vue de lintérieur puisque Fallada décida de rester en Allemagne sous le IIIe Reich et pendant la guerre. Hans Fallada est un auteur allemand né en 1893 dans le Nord de lAllemagne. Il est de la même génération que Johannes R. Becher, Bertolt Brecht, Kurt Tucholsky ou Walter Benjamin, ces auteurs qui sont nés dans l'empire allemand sur son déclin, qui ont connu, au début de leur âge adulte, la chute de l'empire avec la première guerre mondiale, et qui vivront seulement 14 années de démocratie parlementaire avant que le nazisme ne prenne le pouvoir et que néclate la seconde guerre mondiale.
Il meurt en 1947 à Berlin, laissant une vingtaine de romans devenus pour certains des classiques lus à lécole.
Hans Fallada est un personnage qui connut plusieurs vies, de ladolescent dépressif à ladministrateur de domaines agricoles, du morphinomane au mari infidèle, du père attendrissant au conteur extraordinaire.
Il sut transposer ses aspirations contradictoires, ses expériences riches et traumatisantes dans des romans qui dressent un portrait tendre et féroce dune société.
Larmée des petites gens de Fallada car ses personnages sont les gens de tous les jours se débat avec le quotidien de ces années-là, reflet lointain de notre monde contemporain, sous la menace de la crise, de linflation, du chômage, alternant toujours entre lâcheté et pureté.
On le redécouvre aujourdhui en France avec Seul dans Berlin, Quoi de neuf petit homme ?, et Le Buveur, tous publiés par les éditions Denoël et en format de poche chez Folio.
Un second documentaire consacré à Hans Fallada et au destin si particulier de son oeuvre et de son roman Seul dans Berlin après sa mort sera diffusé le 29 janvier 2013 à 9h dans la Fabrique de lHistoire.
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Avec les voix de :
Clément Bondu, Aurélia Petit, Franck Lilin, Antoine Lachand.
Interprète sur place : Andrea Weber
Merci à Patrick Charbonneau et Marc Cluet.
Invités :
Georges-Arthur Goldschmidt, professeur d'allemand, écrivain, essayiste et traducteur.
Stefan Knüppel, directeur du musée Hans Fallada à Carwitz
Manfred Kuhnke, ancien directeur du musée Hans Fallada
Anne Lagny, professeur des universités à l'ENS Lyon et historienne des idées
Michelle Le Bars, maître de conférence à l'université de Rennes 2
Werner Liersch, biographe de Hans Fallada
Alain Muzelle, professeur des universités à Nancy
René Strien, directeur éditorial des éditions Aufbau
Thèmes : Arts & Spectacles| 20e siècle| Europe| Grands Classiques| Littérature Etrangère| Allemagne| Nazisme| Hans Fallada
Source : France Culture
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Chacun devrait s'intéresser à la politique. Si nous l'avions tous fait en temps opportun, nous n'en serions pas au point où nous ont menés les nazis.
En bas, en dessous d'elle, c'est la rue, le chemin champêtre tout cabossé avec les sillons de sable, et l'herbe, et l'arroche, et le laiteron. Et puis il y a le champ de trèfle, et maintenant elle sent son parfum, rien n'est plus merveilleux que l'odeur du trèfle en fleur qui a pris le soleil toute la journée.
Et après le champ de trèfle viennent d'autres champs, des jaunes et des verts, et les quelques soles de seigle sont déjà déchaumées. Et puis ensuite, il y a une bande d'un vert très profond - des prairies -, et entre les saules et les aulnes et les peupliers coule la Strela, toute fluette ici, une petite rivière seulement.
Vers Platz, pense Bichette. Vers mon Platz, où j'ai trimé, où j'ai souffert, où j'étais toute seule, dans un appartement donnant sur la cour. Que des pierres, des murs... Ici, tout va à l'infini.

Mais sa femme lui arrache le feuillet, avec une soudaine violence. Elle a changé du tout au tout. Avec fureur, elle déchire la missive en menus fragments, tout en lui criant au visage, à mots précipités :
- Pourquoi lirais-tu ces ordures, ces mensonges ignobles, qu'ils écrivent tous ?... Que [notre fils] est tombé en héros "pour son Führer et pour son peuple" ?... Qu'il a été un soldat et un camarade exemplaire ?... Voilà ce que tu te laisserais conter par ces gens, alors que nous savons si bien tous les deux que notre petit ne vivait que pour ses bricolages de radio, et qu'il a pleuré quand il a dû rejoindre l'armée !... Combien de fois ne m'a-t-il pas dit, pendant son service militaire, qu'il aurait volontiers sacrifié sa main droite pour être délivré de ces gens-là !... Et maintenant, un soldat modèle et un mort exemplaire !... Mensonges, mensonges, rien que mensonges !... Mais, tout ça, c'est vous qui l'avez préparé, avec votre misérable guerre, toi et ton Führer !
(p. 13)
- [...] Chacun devrait s'intéresser à la politique. Si nous l'avions tous fait en temps opportun, nous n'en serions pas au point où nous ont menés les nazis.
Il prit la plume et dit doucement, mais avec une certaine emphase :
- La première phrase de notre première carte sera : "Mère, le Führer m'a tué mon fils."
De nouveau, elle frissonna : il y avait quelque chose de décidé et de sinistre dans ces paroles ! Elle comprit à cet instant que, par cette première phrase, il avait déclaré la guerre, aujourd'hui et à jamais. Confusément, elle comprit ce que cela signifiait. D'un côté, eux deux, les pauvres petits travailleurs insignifiants, qui pour un mot pouvaient être anéantis pour toujours. Et de l'autre côté, le Führer et le Parti, cet appareil monstrueux, avec toute sa puissance, tout son éclat, avec derrière lui les trois quarts, oui, les quatre cinquièmes de tout le peuple allemand. Et eux deux, seuls ici, dans cette petite chambre de la rue Jablonski !...
- Je pense parfois, maintenant, Herr Doktor, à toutes ces choses dont j'ai l'étoffe et dont je ne savais rien avant. Ce n'est que depuis que je vous connais, ce n'est que depuis que je suis arrivé ici dans cette boîte de ciment pour mourir que j'apprends tout ce que j'ai laissé passer dans ma vie.
- Il en est de même pour chacun d'entre nous. Tous ceux qui doivent mourir, et en particulier ceux qui doivent comme nous mourir trop tôt, sont forcément affligés par toutes les heures qu'ils ont perdues dans leur vie.
Plus tard, dans l'obscurité, ils ne parviennent pas à s'endormir. Ils se tournent et se retournent, et finalement commencent à se parler. Dans l'obscurité, on parle mieux.
Ils se réfugiaient donc de plus en plus dans leur bonheur amoureux. Ils étaient comme deux amants qui en plein raz de marée, au milieu des vagues, au milieu des maisons qui s'écroulent, au milieu du bétail qui se noie, s'accrochent l'un à l'autre et croient qu'ils peuvent survivre au désastre général par la force de leur lien commun, de leur amour. Ils n'avaient pas encore compris que , dans cette Allemagne en guerre, la vie privée n'existait plus du tout. Et le repli sur soi n'y changeait rien, tout Allemand appartenait quoiqu'il advienne à la collectivité des Allemands et devait partager le destin allemand avec les autres - de la même façon que les bombes, qui devenaient de plus en plus nombreuses , tombaient sans distinction sur les justes et les injustes .
Ils n'avaient pas encore compris que, dans cette Allemagne de guerre, la vie privée n'existait plus du tout. Et le repli sur soi n'y changerait rien, tout Allemand appartenait quoi qu'il advienne à la collectivité des Allemands, et devait partager le destin allemand avec les autres - de la même façon que les bombes, qui devenaient de plus en plus nombreuses, tombaient sans distinction sur les justes et les injustes.
Et que voulait-il faire ? Autant dire rien !... Quelque chose de dérisoire, d'insignifiant, tout à fait dans sa ligne ; quelque chose de calme, qui ne pourrait en rien troubler sa tranquilité. Il voulait écrire des cartes ! Des cartes postales, avec des appels contre le Führer et le Parti, contre la guerre, pour éclairer ses semblables. C'est tout... Et ces cartes, il ne comptait nullement les envoyer à des gens bien déterminés, ni les coller sur les murs comme des affiches. Non, il voulait simplement les déposer dans les escaliers des immeubles où il y avait beaucoup d'allées et venues, les abandonner là, sans savoir aucunement qui les ramasserait, ni si elles ne seraient pas aussitôt foulées aux pieds ou déchirées.