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Critique de motspourmots


C'est un regard plutôt triste mais aussi terriblement juste que pose Eric Faye sur notre société à travers le prisme d'une entreprise de presse "mondialisée" et de ses employés basés en France. Il ne s'agit pas ici du monde ouvrier plus souvent pris pour thème par les écrivains, ni même des contrats précaires mais d'une certaine classe moyenne (voire moyenne supérieure) matérialisée ici par des journalistes confirmés, ancrés dans leur entreprise depuis des années, correctement rémunérés, à l'image du héros, Aurélien Babel rédacteur chez Mondonews depuis presque toujours et qui observe de façon assez léthargique les transformations de son environnement. de toute façon, lui, ce que l'intéresse c'est de préserver du temps pour écrire des poèmes, alors il a savamment écarté toute opportunité de progresser. Depuis l'entrée en Bourse de l'entreprise de presse, la pression budgétaire se fait sentir. Des petites choses qui agrémentaient le quotidien sont supprimées, comme la livraison hebdomadaire de la corbeille de fruits ou l'arrosage des plantes. Plus ennuyeux, le support informatique est regroupé en Inde. Et puis, plus grave, les rumeurs font état de transferts de services entiers vers la Roumanie ; il y avait déjà eu le coup de la jeune recrue envoyée sur la côte ouest des Etats-Unis pour éviter de passer une partie de la veille en horaire de nuit (malin). On commence à parler de plan de départ, d'indemnités... Classique.
Classique mais ce sur quoi Eric Faye met l'accent c'est le renoncement d'individus pourtant habitués à manier l'information, à la challenger, bref à faire travailler leurs neurones. le renoncement face à la grosse machine capitaliste mondialisée et ses méthodes de management bien rodées et surtout repérables de loin. Et si tout le monde refusait ? se prend à rêver Aurélien, si on se mettait tous en grève ? Ce qui se dessine est bien loin du combat. Chacun calcule, se prend à rêver d'un break voire d'une pré-retraite déguisée - après tout on l'a bien mérité après toutes ces années à jouer les bons petits soldats - et la compétition s'engage même entre les volontaires puisque les places sont limitées. le système avance, droit dans ses bottes, sûr de lui. Et ça marche...
Oui, le constat est triste, cette résignation a quelque chose de moche et d'emblématique d'un état d'esprit général ; c'est très justement mis en musique de la part de l'auteur (le côté gentiment kafkaïen du parcours entre cabinet d'aide à la conversion et conseiller pôle emploi, le cynisme assumé du système), son Aurélien Babel est terriblement humain dans ses faiblesses et sa façon de se convaincre qu'il fait pour le mieux. Tous ceux qui ont un jour travaillé dans une grande entreprise avec ce type de pilotage et d'enjeux financiers ne pourront que reconnaître la troublante ressemblance avec des situations ou des personnages ayant existé. L'exercice littéraire permet d'en souligner les contours et de donner à percevoir les émotions et sentiments contradictoires face à ce type d'environnement. C'est parfaitement réussi.
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