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Critique de Junie


Saint Pétersbourg fait partie de ces villes qui semblent bâties par quelque génie surgi des flots. Tant de splendeurs accumulées sur un site entre fleuve et mer, tant de palais, de flèches, de coupoles et de fontaines, tant de canaux reflétant les façades de sucre candi et les toits chargé d'or, tant de fêtes fastueuses et de sanglantes batailles, de crimes et d'héroïsme entre ces murs, que tout cela semble sorti de l'imagination d'un poète épique.

Fondé en 1703 par Pierre le Grand, ce rêve de pierre a pourtant pris des allures de cauchemar. En ce début du XVIIIè siècle, l'empire russe va se doter d'une capitale somptueuse, au prix de milliers de vies humaines. le tsar n'hésite pas à réquisitionner des cohortes d'ouvriers qui se tuent à la tâche pour réaliser les travaux colossaux que dirigent des architectes venus de France, d'Italie, d'Allemagne, de Hollande. On oblige même les nobles moscovites à venir s'installer le long des rues à peine tracées, et à s'acclimater à cette ville encore inconfortable et glaciale.

La ville est comme un théâtre où se jouent des épisodes sanglants, au milieu des glaces de la Néva ou de celles du Palais d'Hiver. La Grande Catherine, sans aucun scrupule, fait emprisonner et assassiner son mari. On y assiste à l'abdication de Nicolas II, à l'assassinat de Raspoutine; à la charge de la cavalerie contre des manifestants lors du Dimanche rouge en 1905, et en février 1917, à la révolte des marins de Kronstadt. Saint Pétersbourg est aussi la ville de Raskolnikov, poursuivi par l'horreur de son crime, celle de Pouchkine, qui va boire un chocolat avant de mourir au cours d'un duel au pistolet, une ville de raffinement et de misère extrêmes.

Sous le régime bolchévique, devenue Petrograd, puis Leningrad, la ville perd son statut de capitale. Ses habitants subissent de 1941 à début 43 un siège de 900 jours qui décime la population. 500 000 militaires et plus d'un million de civils meurent de faim, de froid, d'épuisement, durant le blocus des armées allemandes. La ville subit de terribles bombardements. Beaucoup de monuments sont rasés.

Alors faut-il vraiment parler de magie et de "splendeurs éternelles" à propos de Saint Pétersbourg? Se contenter d'admirer les palais et jardins reconstruits, visiter l'Ermitage aux milliers de chefs d'oeuvre, se promener en traineau dans les parcs, rêver sur un des trois cent quarante deux ponts et passer une belle soirée au théâtre Mariinski?

Où s'exclamer comme Dostoïevski: "Quel malheur d'habiter Saint Pétersbourg, la ville la plus abstraite et préméditée du monde!" Une phrase qui s'accorde bien à l'état d'esprit de son héros.

Pour le savoir, une seule solution: prendre le prochain traineau qui me conduira sur les bords de la Néva, pour découvrir si l'âme de cette ville s'est pétrifiée ou si son génie a survécu à tant d'épreuves.

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