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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2023 #2 °°°

Le premier chapitre agit comme un avertissement au lecteur qui peut encore rebrousser chemin s'il sent que ce roman sera trop éprouvant pour lui. On est direct dans la tête de quelqu'un, sans savoir qui. Ce quelqu'un est en train de torturer de façon atroce une jeune fille, elle aussi non identifiée, avant de la tuer tout en savourant les souffrances endurées par sa proie.

Trois pages après, retour en arrière, changement d'ambiance. Quatre lycéennes de milieu très aisé venant d'obtenir leur bac sont en vacances sans leurs parents au Cap, en Afrique du Sud. Elles sont insouciantes, prennent des photos instagrammables, s'amusent, totalement déconnectées de la réalité d'un pays violent. Et c'est là que le massacre inaugural joue sa partition. le lecteur sait que la violence va surgir, mais il est hanté par le suspense habilement mis en place d'emblée : laquelle sera la jeune fille assassinée ? qui est l'auteur de ce crime ?

Des questions qui deviennent des obsessions; elles assaillent, harcèlent, sensation renforcée par la structure narrative : sept narrateurs se succèdent, chacun apportant sa pièce à l'avancée vers la vérité, chacun avec un point de vue qui peut compléter ou contredire ce que le lecteur pensait jusque-là. Ce dernier est décontenancé par la tournure que prend le récit, démarrant comme un thriller classique pour basculer vers un quasi huis-clos mettant en scène une famille puissante, sorte d'Atrides sous acides, dont les secrets explosent à la figure du lecteur. Jamais on ne voit les ficelles, comme si l'auteur, tout en sachant parfaitement où il va, se laisser guider par des personnages qui semblent le surprendre autant qu'ils nous surprennent.

La force narrative de Jérémy Fel est impressionnante, construisant son texte comme une bombe à fragmentation qui décline toutes les variations de la barbarie et de la perversité dont un être humain est capable, jusqu'à la folie. Il y a trois scènes de violence explicite à la limite de l'insoutenable mais elles ne sont jamais gratuites, permettant à chaque fois de propulser le récit vers une autre étape.

Et puis au final, ce ne sont pas ces scènes qui épouvantent le plus. le vrai sujet n'est pas la violence, mais ce qui amène à la violence, les origines de la haine, la haine qui prend le contrôle d'une vie et créé des pulsions qui dépassent tout au point d'être un moteur de choix extrêmes. Les monstres n'existent pas chez Fel, il n'y a que des personnes qui commettent des actes monstrueux suite à un parcours de vie singulier. Et c'est ça qui est terrifiant.

D'autant que l'auteur force le lecteur à ressentir des choses qu'il ne veut pas ressentir, plongé qu'il est dans les flux de pensée faulknériens des différents narrateurs qui s'y déversent sans filtre, obligé qu'il est de les écouter se confier et ainsi d'entrer dans leur cerveau pour en partager les pires pensées. La littérature n'a pas vocation à être confortable. Et ici, elle est de l'ordre du ventre et de la morsure, laissant des traces physiques, organiques sur le lecteur. L'écriture de Fel magnétise, embrase et tranche, fond et forme en symbiose, aussi visuelle que suggestive.

" Despite all my rage, I am still just a rat in a cage " < The Smashing Pumpkins, Bullet with Butterfly Wings

Un tour de force. Une lecture marquante.

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