Après avoir eu loups et chasseurs à nos portes, pas étonnant de retrouver
Jérémy Fel avec la rage. Pour ce quatrième roman, l'auteur se renouvelle, pour nous marquer tout autant.
Malgré toute ma rage peut s'apparenter à un thriller. Sa scène d'introduction, de torture, donne le ton, et prend tout son sens bien des pages après. Rien n'est jamais simple avec un auteur à l'imagination débordante, mise au service d'une histoire à la noirceur abyssale. Créer, bousculer, provoquer.
L'auteur va surprendre. Ses lecteurs assidus, comme les nouveaux venus. A l'opposé de
Nous sommes les chasseurs et sa construction déstructurée, cette histoire se veut plus linéaire. Mais pas moins étonnante.
Le premier personnage à apparaître est Chloé, accompagnée d'un groupe d'amies, partie en Afrique du Sud pour un premier grand voyage loin des adultes. Une seule de ces quatre jeunes filles est majeure.
Écriture au présent et à la première personne, c'est Chloé qui s'exprime. Ton ingénu, une virée entre copines qui pourrait sembler banale. Fel place ses pions, prends le temps de nous faire vivre aux côtés de ce groupe. Génération dorée, s'imaginant à l'abri du monde extérieur, dans un pays où la violence peut surgir à chaque coin de rue.
Le lecteur découvrira rapidement que le roman est en fait choral, pour une intrigue qui se révélera bien tortueuse.
L'écrivain nous guide à tâtons le long d'un fil invisible. Des voix dissemblables, divergentes qui tissent la toile d'un drame familial. La « famille » est au coeur du récit, clan, classe, descendance. Différents mondes qui se côtoient et s'entrechoquent.
L'atmosphère devient peu à peu irrespirable. Loin du Cap, les deux pieds dans le milieu de l'édition, décrit davantage comme une arène où certains se vautrent dans la fange, parés de leurs vêtements de luxe. Autre voix, autre ambiance quand l'auteur tire à boulets rouges sur ce monde-là.
Chaque personnage, à chaque prise de parole, est l'occasion de jouer sur la narration, de changer d'écriture, de tonalité. Parfois assez brutalement, mais c'est là l'essence même de cette histoire.
Derrière, se cache une infinitude de noirceur, et un lot de surprises terrifiantes, mais sacrément stimulantes pour le lecteur qui s'accroche à ces pages avec de plus en plus de tension.
Pour découvrir ce qui se cache derrière les apparences, loin du vernis de l'image publique. Un roman qui questionne les relations familiales dévoyées autant que la violence. du quotidien ou plus endémique. Avec la douleur sous différentes formes.
L'auteur a fait le choix d'un récit plus ramassé (mais 500 pages, tout de même), au style contemporain. Au point qu'il devient de plus en plus difficile de catégoriser ce roman au fil des chapitres.
La lecture s'avère peu à peu vertigineuse, pas qu'un énième roman noir ni un ixième drame familial. C'est un livre qui marque, frappe, mord.
Avec
Jérémy Fel, tout prend une autre dimension. Parce qu'il ose ce que peu osent. Certains passages s'impriment dans le cerveau tant ils sont très visuels, jusqu'à vous brûler les rétines tant ils sont enflammés (ce n'est pas un hasard si le récit est égrainé de nombreuses références cinématographiques). Jusqu'à une dernière partie à découvrir les yeux ahuris.
L'auteur utilise les bonnes ficelles du thriller pour construire cette histoire déroutante, dure, sacrément prenante. Jouant sa partition sur une autre variation, tout en conservant son ADN. Avec une montée dramaturgique étonnante, impossible à anticiper.
On peut penser que le livre est plus accessible que le précédent du fait de sa construction plus linéaire, pouvant toucher plus de monde. Sans doute, mais il reste pour public averti. Vous voilà prévenus.
Malgré toute ma rage est la peinture sombre et dérangeante d'une famille et d'un milieu. Un
Jérémy Fel à nouveau en mode virtuose du roman noir.
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