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Critique de topocl


Henri et Mathilde Bourgeois sont nés à la fin du XIXème siècle, leurs dix enfants entre 1920 et 1940: Jules, Jean, Nicolas, André, Joseph, Louise, Jérôme , Claude, Guy et Marie. Leur descendance prolifique accompagne le XXème et le XXIème siècle.

Alice Ferney nous raconte à nouveau une famille éprise dont la tradition est le ciment. Les femmes y passent "sans transition du monde plein d'interdits des jeunes filles à celui plein d'obligations des épouses " et des mères, dans un épanouissement matrimonial pour nous ambigu. Les hommes, protecteurs, sont voués à la force l'armée ou aux Grandes Ecoles. Une "famille nombreuse, hétérosexuelle et catholique", "dernière floraison de la vieille société patriarcale et colonialiste", des gens "riches, privilégiés et éduqués".

C'est sans doute peu ou prou sa famille, à Alice Ferney, et si la narratrice, petite fille d'Henri et Mathilde, n'est jamais nommée, on se doute (ou on imagine?) qu'elle lui ressemble. Elle nous emmène dans cette ronde huperbolique des générations avec un réel sens du récit, une habileté narrative et un style tout à la fois sensible et puissant. On s'émerveille de n'être jamais perdu,on sait étonnamment toujours qui est qui, on repère les personnalités et les parcours, on éprouve des sympathies et des antipathies (là où la narratrice n'offre que bienveillance), et des émotions. Des émotions, il y en a, dans cette farandole d'événements, naissances, mariages ou décès, joies et drames qui font et défont les vies des familles et de leurs membres, qui font que celles-ci se retrouvent et se reconnaissent, dans des maisons accueillantes, où les récits se perpétuent, et les photographies se conservent.

Cette famille se conçoit comme un mode de vie qui se transmet. Dans une économie de moyens, on jouit de son argent sans en faire un but, on se confie à Dieu comme seul maître, seul critère moral, ancrage puissant, définitif et singulier. On ne perd pas son temps à se lamenter et s'épancher, mais on agit, selon des règles et une loyauté jamais remises en question. L'autorité du père semble librement consentie, comme si elle était fédératrice plutôt que tyrannique, parce que ça ne se discute pas, que la tradition est le maître mot.

La narratrice, femme mûre des années du terrorisme et de la procréation assistée, quoique fidèle à cette généalogie singulière, ne cesse de s'interroger : que voyaient-ils? que pensaient-ils? que cachait cette réserve commandée? rêvaient-ils, parfois? Quels espoirs, quelles vibrations, quelles rébellions étouffées?

Elle va rechercher l'émotion et l'intime derrière la carapace, les conventions, le puritanisme. Derrière l'arrogance, elle cherche l'humain avec une sensibilité qui m' a souvent touchée. Elle évoque la vieillesse et la mort, son approche comme son empreinte. Elle raconte la fratrie dans cette famille si nombreuse, cette hydre à dix têtes où s'entremêlent étrangement solitude et solidarité.

La narratrice se refuse à juger avec nos acquis, nos savoirs d'aujourd'hui, nos mentalités; elle regarde avec recul et indulgence (coupables?) cet homme resté royaliste, antisémite , autoritaire, cette femme oubliant ses aspirations pour intégrer la ligne de conduite familiale, ces couples sûrs de la répartition des tâches et des rôles entre les sexes. Ces Bourgeois, vaniteux mais généreux, intransigeants, redoutables, elle en fait des êtres de chairs et de sang, qui ont -ou n'ont pas - leurs doutes et leurs douleurs. le lecteur, lui, n'ira pas jusqu'à pardonner l'allégeance à Pétain et à l'Algérie française, mais il y trouvera une cohérence. Tout en appréciant son esprit de nuance et son besoin de comprendre, j'ai regretté la détermination d'Alice Ferney à édulcorer, qui fait tendre son propos vers l'hagiographie d'une époque et de moeurs révolus.

Le récit s'inscrit d'autant plus facilement dans L Histoire qu'après le père, soldat de 14, quatre des fils sont des militaires, et l'un résistant : 39-40, l'Indochine et l'Algérie. L'aspect purement historique est sans doute la grande faiblesse du livre: l'auteur considére pour acquis de nombreux faits qui me sont étrangers, mais surtout elle ne réussit pas à fondre Histoire et petite histoire, elle plaque ses données historiques tambour battant, un peu comme s'ils étaient sortis des manuels scolaires qu'Henri, tout au long de sa carrière d'éditeur , a contribué à éditer.(J'ai souvent sauté, je l'avoue)

L'élégance des veuves portait identiquement ces thèmes de la transmission générationnelle et de la maternité bienheureuse. Alice Ferney, dans la concision qui était une forme d'humilité brillante, y réussissait une sorte de "petit roman parfait". Vingt deux ans après elle y revient avec une ampleur et une ambition qu'autorisent son parcours et son expertise d'écrivain(e) reconnue. le pari du roman familiale tentaculaire est tenu avec autant de brio que de délicatesse. Elle ne réussit cependant pas pleinement l'ambition d'un roman universel du XXème siècle français.
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